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étaient condamnés à s’avilir de plus en plus et à perdre tout désir |
comme tout espoir de réhabilitation. Eux aussi avaient droit à une |
correction salutaire, qui, loin de briser leur âme, la retrempât par de |
sages leçons, de nobles exemples et des promesses de miséricorde. Ce |
n’étaient pas des scènes de violence et un joug plus féroce encore que |
leurs crimes qui pouvaient les faire fléchir au baptême de la pénitence. |
Plus ils étaient dégradés, plus il eût fallu essayer de les relever. |
Plus la nature les avait créés insensibles et farouches, plus la société |
avait reçu de Dieu mission de les convertir et de les civiliser. Oui, il |
leur fallait ainsi qu’à moi une pénitence. Il la leur fallait plus ou |
moins longue, plus ou moins sévère, mais telle qu’un père l’inflige à un |
enfant coupable, et non telle qu’un bourreau se réjouit de l’imprimer |
dans les entrailles d’une victime. O humanité! le Christ ne t’a-t-il |
donc pas parlé de la miséricorde des cieux? Ne t’a-t-il pas enseigné à |
invoquer le juge suprême sous le nom de Père? Mais tu ne l’as point |
écouté, et tu as crucifié le juste. Quelle miséricorde le coupable |
peut-il attendre de toi? |
«Plus je contemplais l’avilissement et la perversité de ces malheureux, |
plus j’accusais la société qui punit si cruellement des crimes obscurs |
et qui protége tant de crimes pompeux. |
«Elle ne sait exercer ses vengeances que contre des individus. Elle ne |
sait pas se venger et se protéger elle-même contre des castes entières. |
Les riches règnent par la fraude ou l’immoralité. Les pauvres paient |
double; pour leurs propres fautes, et pour celles qui leur sont étalées |
en exemples sur les hauteurs de la société, comme d’impurs sacrifices |
sur de somptueux autels. En songeant à ces exemples que j’avais donnés |
moi-même (moi, pourtant, un des moins criminels d’entre les heureux du |
siècle), je cessai de m’élever dans mon orgueil au-dessus de mes |
compagnons d’infortune, je m’humiliai devant Dieu, et j’acceptai de lui |
l’abaissement où j’étais réduit en vivant parmi eux. |
«C’est par ces considérations vivement senties que j’entrai dans une |
carrière de stoïcisme apparent, et que je subis mon malheur sans |
proférer une seule plainte. Mais ce stoïcisme n’était pas la froide |
sagesse de l’homme qui cherche le calme dans l’habitude de surmonter la |
douleur. Mon âme était brisée par la pitié, mon cœur saignait par |
toutes ces blessures, par toutes ces plaies étalées autour de moi, et |
quand j’arrivais au repos de l’esprit, c’est que je me réfugiais dans la |
certitude d’une justice et d’une bonté suprêmes. C’est que je sentais |
profondément que ces hommes perdus pour la société ne l’étaient pas pour |
le ciel; car la croyance à un châtiment éternel est le digne ouvrage des |
hommes sans entrailles et sans pardon. Ils ont mesuré à leur taille la |
puissance de Dieu. Ils lui ont attribué celle de contenir dans les |
gouffres de l’enfer des myriades d’âmes déchues. Ils ont oublié qu’il |
avait celle de les retremper dans de nouvelles existences, et de les |
purifier par une suite d’épreuves inconnues aux prévisions humaines. |
--Il parle bien, dit Sténio en se retournant vers Lélia, qui observait |
curieusement l’effet des paroles de Trenmor sur le jeune poëte; mais, |
ajouta-t-il à voix basse, bien penser, bien dire, est-ce assez pour |
laver le sang et la honte? |
--Non sans doute, répondit Lélia tout haut. Il faut encore bien agir, et |
il l’a fait. Durant son martyre il a commencé une vie de dévouement, |
d’héroïsme et de charité qui ne cessera qu’avec lui. Il a commencé par |
essayer de consoler et de convertir les moins endurcis parmi les |
malheureux que la justice des hommes lui avait donnés pour frères. Et |
même au bagne ses efforts n’ont pas été sans succès. Il a eu du moins la |
douceur de se dire qu’il versait avec ses larmes une goutte du baume |
céleste dans des coupes à jamais abreuvées de fiel. Il a fait entendre à |
ceux dont les oreilles étaient fermées, des paroles de compassion et de |
soulagement qu’elles n’avaient jamais entendues et qu’elles n’entendront |
plus, mais qu’elles n’oublieront pas. Et depuis dix ans qu’il et libre, |
après que ses traits et ses manières ont tellement changé que personne |
ne peut le reconnaître; après qu’il a recouvré, par des incidents |
étranges et romanesques une fortune supérieure à celle qu’il avait |
perdue, sa vie, austère pour lui-même, féconde pour les autres, n’est |
qu’une suite de dévouements sublimes. Un mot te le fera connaître, cet |
homme que tu as la vanité de craindre encore; un mot.... |
--Arrêtez! dit Trenmor. Si ma vie nouvelle peut avoir quelque mérite à |
ses yeux lorsqu’il la connaîtra, ne lui ôtez pas à lui-même le mérite de |
croire en moi sans preuves et sans garanties. Cela ne peut être |
l’ouvrage d’une heure. Je puis bien supporter sa méfiance et son dédain |
quelques jours encore! |
--Ma méfiance, peut-être! dit vivement Sténio. J’avoue qu’une vertu |
aussi exceptionnellement acquise que la vôtre m’étonne et m’effraie, moi |
qui ne connais encore de la vie que les chemins bordés de fleurs, par où |
l’on court à l’espérance. Mais ne craignez pas mon dédain, homme |
infortuné... |
--Votre dédain ne peut pas m’effrayer, jeune homme! interrompit Trenmor |
avec un accent de fierté solennelle. Je sais que je n’échapperais à |
celui de personne si je me faisais connaître pour un homme exilé de la |
société humaine. Je sais aussi que quiconque possède mon secret a le |
droit de m’insulter et de me refuser la réparation du sang. J’ai donc dû |
placer plus haut l’estime et le respect de moi-même. Ces biens, je les |
ai recouvrés à la sueur de mon front, et j’ai lavé mes souillures, non |
dans le sang d’autrui, mais dans le plus pur de mon sang. Il n’est donc |
au pouvoir d’aucun homme de m’humilier. Vous m’estimerez quand vous |
pourrez, Sténio; mais alors vous pourrez vous dispenser de me le |
témoigner. Votre respect ne me ferait pas plus de bien que votre mépris |
ne peut me faire de mal. Il y a longtemps que je n’agis plus en vue de |
ce qu’on pensera de moi. Celui à qui j’ai affaire à cet égard, ajouta |
Trenmor en regardant les cieux, est placé plus haut que vous.» |
L’attitude, la voix et le front du proscrit avaient quelque chose de si |