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The play *la Tosca* is entered according to act of Congress
in the year 1909, by the late V. Sardou's heirs, in the office
of the Librarian of Congress at Washington. All rights
reserved.
*L'église Saint-Andréa des jésuites à Rome. Architecture du Bernin, pleins cintres sur gros piliers carrés de marbre banc plaqué rouge... Stucs, dorures, etc... La vue est prise du transept de droite. Au fond, le chœur entouré d'une grille très ornée; et la fuite de l'abside vers la droite noyée dans l'ombre. Au premier plan à droite, porte latérale avec son tambour et ses portes battantes. Au deuxième plan, faisant angle avec un des gros piliers, la chapelle des Angelotti. Grille sur la scène, grille du côté de l'abside surmontée des armes des Angelotti.* Trois anges d'argent, deux et un, sur un fond d'azur. *Tout le côté gauche, est occupé par un échafaudage de peintre, appuyé sur un autel, et par un grand cadre entourant une grande toile ébauchée. Sur l'échafaudage, tout l'attirail d'un peintre, escabeaux, tabourets, brosses, palettes, étoffes, etc... On accède à cet échafaudage par un petit escalier de bois blanc. Au pied de l'escalier, un panier avec un flacon de vin, deux gobelets d'argent, du pain, un poulet froid, une serviette et des figues. Au milieu de la scène au fond, un pilier avec une madone en relief, peinte, sous un petit dais très doré. Au pied, une vasque pouvant porter des fleurs, et un trépied avec des cierges. En avant de l'échafaudage, deux tabourets.*
Scène première
GENNARINO, EUSEBE, sacristain.
Gennarino dort étendu tout de son long sur l'échafaudage. Eusèbe, venu du fond, s'approche de lui et fait tinter à son oreille un gros trousseau de clefs.
Eusèbe.—Eh! Gennarino!...
Gennarino, s'éveillant en sursaut.—Hein. Plaît-il?
Eusèbe.—Tu dors?...
Gennarino, se frottant les yeux.—Oui!... Je dors un peu.
Eusèbe.—Paresseux!... Je vais en faire autant, du reste... C'est l'heure de la sieste. Il est temps de fermer les portes... Où est ton patron?
Gennarino.—Il est allé jusqu'au quartier des Juifs, acheter une étoffe pour sa peinture.
Eusèbe.—Voilà bien de mon Français, qui court les rues de Rome, au mois de juin, par la grande chaleur du jour, et qui m'oblige à l'attendre.
Gennarino, debout.—Le seigneur Mario Cavaradossi n'est pas Français, père Eusèbe. Il est Romain, comme vous et moi, et de vieille famille patricienne, s'il vous plaît.
Eusèbe.-Bon, je sais ce que je dis... S'il est Romain par son père, que j'ai bien connu dans ma jeunesse, il est plus Français encore par sa mère, une Parisienne! En voilà bien la preuve. Si ton maître était un véritable Italien, travaillerait-il à l'heure où tout Romain qui se respecte est occupé à faire un somme?
Gennarino, préparant la palette.—Son Excellence prétend qu'il n'est pas d'heure plus favorable au travail que celle-ci, où, les portes étant closes, il n'est plus distrait par les Anglais visiteurs, et leurs ciceroni bavards, par le bourdonnement des prières, le chant des cantiques et les sons des orgues; et que, dans cette solitude et cette fraîcheur silencieuse de l'église, il se sent plus libre, plus inspiré, plus en verve!...
Eusèbe, grommelant.—Oui, pour recevoir les visites de certaine dame.
Gennarino, de même.—Vous dites?
Eusèbe.—Rien!... Après tout, c'est un généreux seigneur. Il ne quitte jamais la place sans me glisser dans la main trois ou quatre Pauli, en témoignage de son estime. Je regrette seulement, Gennarino, que le cavalier Cavaradossi n'ait pas des sentiments plus religieux.
Gennarino, confirmant.—Oh! ça!...
Eusèbe.—Car, enfin, je ne l'ai jamais vu assister aux offices, ni marier sa voix à la nôtre à l'heure des vêpres... et, depuis qu'il travaille à cette chapelle, il ne s'est pas confessé une seule fois, pas même au saint jour de Pâques.
Gennarino.—C'est pourtant vrai, père Eusèbe.
Eusèbe.—Un jacobin, Gennarino... un pur jacobin. Il a de qui tenir, d'ailleurs. Le papa Cavaradossi passait déjà pour philosophe. Il avait longtemps vécu à Paris, dans la fréquentation de l'abominable Voltaire, et autres malfaiteurs de la même bande... Prends garde, Gennarino, que le contact de l'impie ne te mène droit en enfer.
Gennarino, bâillant.—Pensez-vous, père Eusèbe, que l'on y dorme, en enfer?
Eusèbe.—Si l'on y dort!...
Gennarino.—Oui...
Eusèbe.—Au fait... y dort-on? J'avoue, garçon, que ta question me prend au dépourvu. Il faut que j'interroge sur ce point le père Caraffa, lumière de notre Eglise... Toutefois, je pencherais plutôt pour l'insomnie, qui est un supplice bien fait pour les damnés.
Gennarino, de même.—Oh! Oui!
Eusèbe.—Tu devrais au moins corriger un peu ce que la conduite de ton maître a de répréhensible, en lui suggérant l'idée d'offrir pour le sacrifice de la messe quelques flacons de ce marsala que je vois dans ta corbeille.
Gennarino.—Ce n'est pas du marsala,... c'est du gragnano.
Eusèbe, tirant le flacon et l'examinant.—Tu m'étonnes, mon enfant... A la couleur, je parierais pour du marsala.
il débouche et flaire
Gennarino.—Vous perdriez, père Eusèbe.
Eusèbe, versant le vin dans un gobelet.—Parbleu, j'en aurai le cœur net.
Il l'avale d'un trait.
Gennarino, sautant à terre.—Hé là donc!
Eusèbe, faisant claquer sa langue.—Tu as raison, mon fils,... c'est du gragnano, et du meilleur.
Gennarino, lui arrachant le flacon.—Et puis le patron dira que c'est moi!
Il rince le gobelet.
Eusèbe.—Bon!... Il est trop amoureux pour y prendre garde. (Il regarde l'heure à sa montre.) D'ailleurs, il me doit bien ce dédommagement pour le temps qu'il me fait perdre à ne pas dormir.
Gennarino, remettant le flacon et le gobelet dans la corbeille.—Il se sera arrêté à voir tes préparatifs de la fête au palais Farnèse.
Eusèbe.—Cette fête-là n'est pas pour le charmer, puisqu'elle célèbre une nouvelle victoire de nos armes sur les troupes françaises.
Gennarino.—Quelle victoire?
Eusèbe.—Bon Dieu! se peut-il que tu n'aies pas entendu parler de la reddition de Gênes?
Gennarino.—Vaguement.
Eusèbe.—C'est-à-dire que le chevalier te laisse volontairement dans l'ignorance de nos triomphes... Sache, donc, enfant, que les Français sont battus sur tous les points, et que le général Masséna, enfermé dans Gênes, a dû capituler et céder la ville aux troupes de Sa Majesté Impériale.
Gennarino.—Ah!
Eusèbe, tirant un journal.—Voici d'ailleurs ce que dit la gazette!... Ecoute ceci, mon garçon, (il lit) *Nous recevons de nouveaux détails sur la reddition de Gênes... Le général Masséna est sorti de la ville avec huit mille hommes seulement, plus ou moins éclopés et hors d'état de tenir la campagne. Le général Soult, prisonnier, est grièvement blessé. Les trois quarts des généraux, colonels, officiers français de tout grade, sont captifs comme lui ou blessés, ou morts. C'est un affreux désastre pour ces bandes indisciplinées qui s'intitulent effrontément l'armée française...* Et ceci à la suite, (il lit.) *Sa Majesté Napolitaine la reine Marie-Caroline, auguste fille de l'impératrice Marie-Thérèse, sœur de l'infortunée Marie-Antoinette, digne et glorieuse épouse de Sa Majesté Napolitaine-Ferdinand IV, notre victorieux protecteur, est venue tout exprès de Livourne où elle était de passage, allant à Vienne, pour donner, ce soir 17 juin, une grande fête au palais Farnèse, en l'honneur de cette victoire... Il y aura concert suivi de bal, avec illumination a giorno, sur la place Farnèse, et musique à tous les carrefours avoisinant le palais. On ne pourra regretter à cette solennité vraiment patriotique, que l'absence de Sa Majesté Ferdinand retenu à Naples par l'obligation d'y effacer les derniers vestiges de l'infâme République parthénopéenne. Ajoutons qu'aux dernières nouvelles, M. de Mêlas concentrait toutes ses troupes à Alexandrie. Avant peu, nous pourrons fêter une dernière et décisive victoire...* Avec M. de Mêlas, Gennarino, cela n'est pas douteux... Il y a bien ce petit général Bonaparte qui serait, dit-on, à Milan; mais prendrais-tu ce général Bonaparte au sérieux, Gennarino?
Gennarino.—Moi, je ne sais pas: mais le patron, oh! oui!
Eusèbe.—Voilà encore de mon jacobin! Passe pour l'ancien Bonaparte, le vrai... Mais celui-là qui est faux...
Gennarino.—Faux?
Eusèbe.—Parfaitement. Je tiens de source certaine, que le général Bonaparte est mort en Egypte, noyé dans la mer Rouge comme Pharaon, et que celui-ci n'est autre que son frère Joseph que l'on donne pour le défunt, afin d'inspirer confiance aux soldats français, si découragés qu'ils refusent de se battre!
Gennarino.—Ainsi. Voyez!.
Eusèbe.—Oui, mon garçon, voilà où ils en sont à Paris. Et ce n'est pas tout. Sais-tu ce qu'il a imaginé, ce farceur-là?...
Gennarino.—Joseph?
Eusèbe.—Joseph!... Il fait courir, le bruit qu'il a franchi les Alpes avec tous ses canons!... Les Alpes!... Non!... C'est à mourir de rire...
Gennarino.—Voici le patron!
Scène II
Les mêmes, MARIO CAVARADOSSSI
Mario, entrant par la droite portant une étoffe.—Je vous demande pardon, père Eusèbe, je suis un peu en retard.
Il monte sur son échafaudage et, pendant ce qui suit, drape son étoffe sur un mannequin.
Eusèbe, repliant son journal.—J'en profitais, Excellence, pour mettre Gennarino au courant des opérations militaires.
Mario.—Oh! Alors!
Eusèbe.—Tout est fermé... Je puis sortir, Excellence?
Mario.—Oui, oui, et toi aussi, Gennarino... Je n'ai pas besoin de toi avant la réouverture des portes.
Gennarino.—Merci, Excellence!
Eusèbe.—Votre-. Excellence aura la bonté de tirer les verrous. (Poussant Gennarino.) Allons, passe devant, paresseux!
Ils sortent par la droite. Eusèbe tire la porte...
Scène III
MARIO, CESARE Angelotti
Mario resté seul, après avoir disposé son étoffe, descend de l'échafaudage pour voir l'effet de loin. Puis tout en sifflotant, il remonte sur l'échafaudage et corrige les plis de la draperie; après quoi il ôte sa veste, pose son tabouret, et s'apprête à travailler... Dès qu'il est remonté sur son estrade, Angelotti paraît derrière la grille de la chapelle à droite, qu'il rouvre sans bruit et sort sans être vu par Mario qui lui tourne le dos; puis il descend vers la porte, et prête l'oreille. A ce moment, Mario, agenouillé pour choisir des vessies dans sa boîte, l'aperçoit, et, sans changer de posture, l'interpelle.
Mario.—Tiens!... Quelqu'un?...
Angelotti, se retournant.—Plus bas, je vous prié... Sommes-nous seuls?
Mario.—Oui. Ah ça, qui diable êtes-vous, avec ces allures de malfaiteur?
Angelotti,—Un malfaiteur, en effet, pour certaines gens, mais pour vous, non... si j'en crois ce que disaient cet homme et cet enfant.
Mario, descendant de l'estrade.—Tout cela ne m'apprend pas qui vous été...
Angelotti, résolument.—Eh bien, soit!... Advienne que pourra! Je suis un prisonnier évadé du château Saint-Ange!
Mario.—Vous?
Angelotti, vivement.—Et mon nom ne vous est peut-être pas inconnu. J'étais à Naples un des plus ardents défenseurs de la République parthénopéenne, et, quand elle a succombé, je me suis réfugié à Rome... où l'on m'a fait consul de la République romaine, égorgée comme l'autre... Vous avez pu lire sur toutes les listes de proscription ce nom qui est le mien: Cesare...
Mario, vivement.—Angelotti?...
Angelotti.—Oui!
Mario, courant à la porte et tirant les verrous.—Ah! bon Dieu!... Que ne le disiez-vous plus tôt?
Angelotti.—Dieu soit loué! je ne me suis pas trompé sur votre compte...
Mario.—Ah! certes, non! Mais comment êtes-vous caché dans cette église?...
Angelotti.—Comment et pourquoi, je vous le dirai; mais, par grâce, quelques gouttes de ce vin... Je n'ai rien pris depuis hier, et je n'en puis plus de fatigue et de besoin.
Il s'assied sur l'escabeau.
Mario, allant vivement au panier, et lui versant à boire dans un gobelet.—Ah! Certes!... Tenez!... Buvez!... Buvez vite!
Angelotti.—Merci! Ne retirez pas votre main... Quand on n'a plus commerce depuis longtemps qu'avec des geôliers, des bourreaux et autres animaux malfaisants, vous ne sauriez croire quel plaisir c'est de serrer enfin dans sa main la main d'un homme. (il vide le gobelet.) Ce vin me ranime.
Mario, retournant à son panier.—J'ai mieux à VOUS offrir!... Heureusement. (Il rapporte le panier qu'il vide en parlait.) Et comment avez-vous pu vous évader?
Angelotti, prêt à manger.—Je n'y suis pour rien... (S'interrompant pour regarder autour de lui.) Mais êtes-vous bien sur?...
Mario.—L'église est vide et close de toute part... Le sacristain lui-même ne peut rentrer par cette porte que si j'en tire les verrous. Nous avons devant nous deux bonnes heures de sécurité pour le moins.
Angelotti, mangeant.—Je n'ai pas, vous disais-je, le mérite de mon évasion, qui est l'œuvre de ma sœur, la marquise Attavanti... La connaissez-vous?
Mario.—De vue seulement.
Angelotti.—C'est elle qui a tout fait! Hier à la tombée du jour, un porte-clefs gagné par elle, le nommé Trebelli, m'a apporté ces vêtements dans mon cachot dont il m'a ouvert la porte après avoir détaché mes fers. On travaille en ce moment, au château Saint-Ange, à réparer les dégâts de l'occupation française. J'ai pu me mêler, à la sortie des ouvrières, et gagner au large. Mais, à cette heure-là, les portes de la ville sont fermées, de l'*Angélus* du soir à l'*Angélus* du matin. Me réfugier chez ma sœur? Impossible... Le marquis Attavanti, mon beau-frère, est un fanatique, du trône et de l'autel, qui serait homme à me livrer lui-même au bourreau; non par méchanceté—l'imbécile n'est pas méchant—mais par courtisanerie, par peur et conscience de son devoir!... Où trouver asile pour la nuit?... Ma sœur avait prévu le cas. Les Angelotti, fondateurs de cette église, y ont leur chapelle dont seuls ils gardent la clef... elle y a déposé hier des vêtements de femme, le voile, la mante, jusqu'à l'éventail, pour cacher mon visage au besoin, et des rasoirs, des ciseaux, etc., tout ce qui peut servir à me rendre méconnaissable; la clef m'a été remise par Trebelli, j'ai pu me glisser dans cette chapelle avant la fermeture des portes de l'église, y passer toute la nuit, et le jour venu, m'y couper les cheveux et la barbe. J'attendais Trebelli ce matin. Lui seul entrant dans mon cachot, mon évasion ne devait être constatée qu'à la visite réglementaire de demain. Il était donc convenu que Trebelli ferait son service à l'ordinaire, et qu'après s'être entendu avec un voiturier, il viendrait me prendre ici à l'heure de la grand'messe. Je sortais avec lui sous mes habits de femme, nous montions en voiture, et nous allions à Frascati rejoindre ma sœur qui, partie ce matin, y prépare toutes choses pour ma sortie des Etats-Romains. Trebelli n'a pas paru, et je n'ai su que résoudre, balancé entre l'obligation de l'attendre, puisque sans lui je ne sais que devenir, et la crainte de prolonger ici mon séjour. Car enfin, si l'évasion est découverte, si Trebelli est arrêté, s'il parle...
Mario.—S'il était arrêté, vous le seriez aussi; car de gré ou de force, il aurait tout dit!... Et, si votre fuite était connue, le canon du château Saint-Ange l'aurait appris à toute la ville, en donnant le signal d'en fermer les portes...
Angelotti.—Ce qui me rassure, en effet, c'est de ne l'avoir pas entendu. Mais l'absence de cet homme...
Mario.—Un retard que le moindre accident peut motiver et qui n'a rien de bien effrayant. Attendons ici patiemment que le jour baisse. Aucun asile n'est plus sûr pour vous que cette église déserte... D'ailleurs vous ne sortirez pas de ce côté, sous votre déguisement, sans attirer l'attention des commères qui tricotent sur le pas de leurs portes, des enfants, des joueurs de boules qui sont là sur la place. Tandis qu'à la réouverture de l'église, vous pourrez sortir franchement par la grande porte, et, dans le va-et-vient des dévotes, personne ne prendra garde à une de plus. Si, à cette heure-là, Trebelli ne s'est pas encore montré, je me charge du reste.
Angelotti.—Ah! quel homme vous êtes!... Ce qui aie fâche, c'est l'inquiétude de ma pauvre sœur qui m'attend.
Mario.—Et qu'on ne saurait prévenir, malheureusement. Mais je m'explique sa présence hier dans cette église.
Angelotti.—Vous l'avez vue?
Mario.—Assez pour fixer sur cette toile le souvenir de sa merveilleuse beauté.
Angelotti, regardant.—En effet!...
Mario.—Oh! une simple esquisse.
Angelotti, regardant le tableau.—C'est bien le ton doré de ses cheveux, et ses grands yeux bleus si doux... Ah! ma chère Giulia! Quel dévouement. Pensez que depuis un an elle me dispute à la mort. Mais la tendresse d'une femme est moins puissante que la haine d'une autre.
Mario.—Ah! C'est là votre fait?...
Angelotti.—Et par ma faute... Il y a une vingtaine d'années, j'étais à Londres, uniquement soucieux alors de mes plaisirs... Un soir, au Waux-Hall, je fus accosté par une de ces créatures qui rôdent, à la nuit, dans ces jardins publics, en quête d'un souper. Celle-là était prodigieusement belle. Notre liaison dura huit jours; puis je partis, ne gardant de cette aventure que le souvenir, qu'elle méritait. Des années se passent: mon père meurt, et le partage de ses biens me fait propriétaire de terres considérables dans les environs de Naples, et, par suite, habitant de cette ville. J'y arrive un jour après une assez longue absence. Le prince Pepoli chez oui je dîne, me dit: «Venez ça que je vous présente à l'ambassadeur d'Angleterre, sir Hamilton, et à sa délicieuse femme qui révolutionne ici toutes les têtes.» Et dans lady Hamilton, jugez de ma stupeur!... je reconnais ma facile conquête du Waux-Hall...
Mario.—Eh! oui. Emma Lyon, bonne d'enfants à ses débuts, puis servante de taverne, modèle, fille publique, etc... et finalement, ambassadrice du Royaume-Uni d'Angleterre.
Angelotti.—Je dissimule en vain ma surprise. Lady Hamilton n'est pas femme à s'y méprendre. Elle se sent reconnue. A table, on m'a fait l'honneur de m'asseoir à sa droite. Mais un autre convive, La Haine, s'y place entre nous... Et j'ai la folie de la braver... L'Hamilton n'était pas alors, comme aujourd'hui, la vraie souveraine de Naples, par l'empire qu'elle a su prendre sur Marie-Caroline, son amie, sur l'amiral Nelson, son amant, protecteur du Royaume!... Mais elle avait assez de crédit déjà, pour exciter la cour à toutes les rigueurs contre les Napolitains suspects, comme moi, de pactiser avec l'idée révolutionnaire. Irrité de la voir hostile, pour nous, jusqu'à la cruauté, je m'oubliai à dire publiquement en quel lieu j'avais connu cette aventurière. Deux jours après, ma maison était envahie, mes papiers saisis, fouillés... Rien! Mais dans ma bibliothèque, deux volumes de Voltaire qu'une main perfide y avait glissés à mon insu, et par quel ordre?... ai-je besoin de vous le dire? Or le décret royal était formel. Pour tout possesseur d'un seul ouvrage de Voltaire,... trois ans de galère!...
Mario.—Et vous avez fait?...
Angelotti.—Mes trois ans!
Mario.—Ah! grand Dieu!
Angelotti.—Après quoi, exilé, ruiné, tous mes biens étant confisqués par la couronne, je quittai Naples, où je ne rentrai qu'à la suite de Championnet. Au retour de l'armée royale, je réussis à gagner Rome, tandis qu'à Naples, les patriotes, mes amis, étaient écartelés, aveuglés, mutilés, brûlés vifs par la canaille napolitaine, qui se régalait de leur chair grillée, et dans la campagne, traqués par les san-fédistes à la solde d'un Fra-Diavolo ou d'un Mammone, ce monstre qui troue la gorge de ses prisonniers, et qui boit leur sang!... Mais, quand la garnison française dut céder Rome aux troupes; napolitaines, arrêté au mépris de la capitulation et jeté dans, un cachot du château Saint-Ange, j'y suis oublié depuis un an grâce à ma sœur. Le prince d'Aragon, gouverneur de Rome pour le roi, n'est pas un méchant homme, et se prêtait à cet oubli volontaire, dans l'espoir qu'à l'arrivée du nouveau pape, je profiterais de quelque amnistie; mais, la cour de Naples a dépêché ici récemment, comme régent de police, un Sicilien qui s'est fait là-bas une réputation le justicier impitoyable...
Mario.—Le baron Scarpia!...
Angelotti.—...Et celui-là n'est pas homme à m'oublier!
Mario.—Ah! le misérable! Sous les dehors de la parfaite' politesse et de la fervente dévotion, avec ses sourires et ses signes de croix, quel vil gredin, cafard et pourri, artiste en scélératesse, raffiné dans ses méchancetés, cruel par dilettantisme, sanguinaire jusque dans ses orgies! Quelle femme, fille ou sœur, n'a payé de sa honte les démarches faites auprès de ce satyre immonde?...
Angelotti.—A qui le dites-vous? Ma sœur a dû le fuir épouvantée, et c'est alors qu'elle a conçu le plan de mon évasion. Mais Scarpia nous gagnait de vitesse et, dans trois jours, je devais être expédié à Naples pour y donner à lady Hamilton la joie de voir pendre son ancien amant!... Plaisir qu'elle n'aura pas, quoi qu'il arrive; j'ai dans cette bague, grâce à ma sœur, de quoi leur épargner les frais de ma potence...
Mario.—Chut!...
Angelotti.—On a frappé...
Silence. Ils écoutent. Bruit, de voix dehors.
Mario, l'oreille collée à la porte.—Non! C'est la boule de l'un, des joueurs qui est venue heurter cette porte. Ils s'éloignent... Ce n'est rien.
Il revient: à Angelotti.
Angelotti.—Que je m'en veux de vous associer à mes inquiétudes... Mais, bon Dieu! je vous parle de moi depuis une heure et je ne sais pas encore de quel nom vous nommer.
Mario..—Mario Cavaradossi.
Angelotti.—Le fils?...
Mario.—De Nicolas Cavaradossi! Un Romain comme vous.
Angelotti.—Je croyais la famille éteinte.
Mario.—Pas encore, vous voyez. Mais votre erreur s'explique. Mon père a passé en France la plus grande partie de sa vie. Introduit par l'abbé Galiani dans la société des Encyclopédistes, il était fort lié avec Diderot, d'Alembert, etc. C'est ainsi qu'il épousa Mlle de Castron, ma mère, petite-nièce d'Hélvétius!... J'ai fait mes études à Paris et, après la mort de mes parents, j'y ai vécu pendant toute la période révolutionnaire, dans l'atelier de David, dont je suis l'élève...
Angelotti.—Et vous pouvez vivre ici?...
Mario.—Sans l'avoir désiré, ni même prévu... J'avais à Rome des intérêts en souffrance. J'y suis venu au moment où les troupes françaises sortaient par une porte, où l'armée napolitaine entrait par l'autre. Et j'y suis resté pour mettre ordre à mes affaires...
Angelotti.—Depuis un an?
Mario.—J'aurais mauvaise grâce à ne pas vous dire la vérité!... J'y suis resté surtout...
Angelotti, souriant.—Pour une femme?
Mario.—Eh! oui.
Angelotti.—Toujours!
Mario.—Connaissez-vous la Tosca?
Angelotti.—Floria Tosca? La cantatrice?
Mario.—Oui!
Angelotti.—De renommée seulement... C'est elle?
Mario.—C'est elle!... L'artiste est incomparable; mais la femme... Ah! la femme!... Et cette créature exquise a été ramassée dans les champs, à l'état sauvage, gardant les chèvres. Les bénédictines de Vérone, qui l'avaient recueillie par charité, ne lui avaient guère appris qu'à lire et prier; mais elle est de celles qui ont vite fait de deviner ce qu'elles ignorent. Son premier maître de musique fut l'organiste du couvent. Elle profita si bien de ses leçons qu'à seize ans elle avait déjà sa petite célébrité. On venait l'entendre aux jours de fête. Cimarosa, amené là par un ami, se mit en tête de la disputer à Dieu, et de lui faire chanter l'opéra. Mais les bénédictines ne voulaient pas la céder au diable. Ce fut un beau combat. Cimarosa conspirait; le couvent intriguait. Tout Rome prit parti pour ou contre, tant que le défunt pape dut intervenir. Il se fit présenter la jeune fille, l'entendit et, charmé, lui dit en lui tapant sur la joue: «Allez en liberté, ma fille, vous attendrirez tous les cœurs, comme le mien, vous ferez verser de douces larmes; et c'est encore une façon de prier Dieu.» Quatre ans après elle débutait triomphalement dans la Nina et, depuis, à la Scala, à San-Carlo, à la Fenice, partout il n'y a qu'elle. Quant à notre liaison, elle a été improvisée ici à l'Argentina où elle chante en ce moment. Une de ces rencontres où l'on se sent à première vue l'un pour l'autre, l'un à l'autre, où deux êtres se reconnaissent sans s'être jamais vus;—c'est lui!—c'est elle!—Et tout est dit.
Angelotti.—Je ne vous connais, moi, que depuis un quart d'heure; mais je ne lui pardonnerais pas de ne pas vous aimer.
Mario.—Ah! pour cela!... Elle m'aime bien! Je ne lui sais même qu'un défaut!... C'est une jalousie folle qui n'est pas sans troubler un peu notre bonheur. Il y a bien aussi sa dévotion qui est excessive; mais l'amour et la dévotion s'accommodent assez l'un de l'autre...
Angelotti.—C'est la même chose!...
Mario.—Eh! oui... Enfin, je lui ai fait le sacrifice de mes répugnances en prolongeant ici mon séjour qui n'est pas sans péril. Car vous pensez bien que j'y suis assez mal vu. Je n'ai pris aucune part à ce qu'ils appellent votre révolte; et, à cet égard, je ne saurais être inquiété; mais, outre que mon nom sent un peu le roussi, mon père ayant fait scandale en son temps, le fait seul que je suis élève du conventionnel David, ma façon de vivre qui n'a rien d'un san-fédiste, mes vêtements et jusqu'à l'air de mon visage, tout est pour me signaler à la police. Ici, comme à Naples, vous le savez, celui-là est mal noté qui supprime la perruque poudrée, la culotte, les souliers à boucles, et s'habille et se coiffe à la française. Mes cheveux à la Titus sont d'un libéralisme outré, ma barbe est libre penseuse, mes bottes sont révolutionnaires. J'aurais déjà eu maille à partir avec le hideux Scarpia si je ne m'étais avisé d'une ruse...
Angelotti.—Qui est?...
Mario.—J'ai sollicité du chapitre de cette église l'autorisation de peindre ce mur-là gratuitement.
Angelotti.—Oh! ils ont accepté?
Mario.—Vous pensez!... Ce pieux dévouement a conjuré l'orage, et peut-être lui devrai-je ma sécurité jusqu'au départ de Floria pour Venise où elle est engagée la saison prochaine. Là, du moins, nous pourrons nous aimer sans crainte.
Angelotti.—Et plus librement, sans doute...
Mario.—Oh! ma foi, nous n'en faisons pas mystère. Quand elle n'est pas chez moi, au palais Cavaradossi, c'est moi qui suis chez elle. Ici même, elle vient me retrouver en plein jour, et vous l'auriez déjà entendue frapper à cette porte si elle n'était à quelque répétition pour le concert de ce soir. Cela se trouve bien, du reste...
Angelotti.—Pourquoi?
Mario.—Sa présence contrarierait nos projets!...
Angelotti.—Bon; vous en seriez quitte pour lui dire qui je suis...
Mario.—Oh! que non pas!... Et que je ne suis pas pour associer les femmes à ces sortes d'aventures!...
Angelotti.—Même celle-là qui vous est si dévouée?
Mario.—Même celle-là!... Son concours nous est inutile, n'est-ce pas?... Biffons l'inutile. Si petit que soit le risque à lui parler, il est moindre encore à ne lui rien dire, et nous supprimons du coup les questions, les inquiétudes, la fièvre, les nerfs, etc... surtout sa mauvaise humeur à me voir protéger un scélérat tel que vous. Car, pour elle, royaliste, vous n'êtes rien de mieux!... Et puis, supposons la fuite impossible; que votre séjour à Rome se prolonge; un mot maladroit peut tout perdre. Pensez surtout qu'elle est dévote, que le confessionnal est un terrible confident, et que la seule femme vraiment discrète est celle qui ne sait rien... et encore!...
On frappe au dehors.
Floria, dehors.—Mario!
Mario.—C'est elle! (Haut) Oui! Oui! (A Angelotti.) Cachez-vous!... J'abrégerai sa visite s'il le faut...
Angelotti se réfugie dans la chapelle.
Floria, frappant toujours.—Mais ouvre donc!...
Mario, saisissant sa palette et ses pinceaux.—Mais attends... Je viens!... Je viens!
Il tire les verrous et ouvre.
Scène IV
Floria, entrant avec une gerbe de fleurs.—Voilà des cérémonies pour m'ouvrir!...
Mario, un pinceau dans les dents.—Tu ne me donnes pas le temps de descendre.
Floria, regardant partout d'un air soupçonneux.—Tu tires donc les verrous à présent?
Mario.—Oui, le père Eusèbe aime mieux cela.
Floria.—Le petit n'est pas là?...
Mario. nettoyant ses pinceaux.—Non, je lui ai donné congé... (Floria remonte subitement vers le fond.) Qu'est-ce que tu regardes?
Floria,—A qui donc parlais-tu?...
Mario.—Moi!... Je ne parlais pas!... Je fredonnais... Tu m'as entendu fredonner...
Floria.—Parler!... Tu faisais comme cela, ch... ch... ch... ch...
Mario.—Quelle folie!... Qui veux-tu qui soit ici à cette heure?...
Floria.—Est-ce qu'on sait?... Quelque vieille dévote amoureuse de toi.
Mario.—Oh!... Déjà?... Une scène par cette chaleur... Attends au moins la fraîcheur du soir... (Il lui prend les mains et les baise tendrement.) Quelle moisson de fleurs!
Floria.—Pour la Madone... J'ai tant à me faire pardonner.
Mario, continuant.—Par exemple?...
Floria.—Par exemple ce que tu fais là.
Mario.—Où est le mal?...
Floria.—Oh! si, sous ses yeux... (Baissant la voix.) Laisse-moi au moins la saluer avant...
Mario, de même, l'imitant.—Oh! c'est trop juste...
Floria remonte vers le pilier où est la Madone, dépose ses fleurs dans la vasque et s'agenouille, le dos tourné à la rampe. Mario en profite pour échanger un signe d'intelligence avec Angelotti qu'on entrevoit une seconde derrière la grille.
Floria, redescendant et lui rendant ses mains, plus à l'aise, à haute voix.—Voilà qui est fait!
Mario, baisant les doigts.—Alors, je peux?... Elle permet!...
Floria, très convaincue.—Oui... Ah! je suis bien contrariée, va.
Mario.—Parce que?...
Floria.—Nous ne nous verrons plus jusqu'à demain.
Mario.—Pourquoi?
Floria.—Cette fête!...
Mario.—Au Palais Farnèse?...
Floria.—Oui... Il y a concert, et tu penses bien que j'y ai la plus grosse part.
Mario.—Bon, mais après?...
Floria.—Il y à bal.
Mario.—Et il faut que tu danses?
Floria.—Non!... Mais que je soupe... La reine m'a fait dire par le duc d'Aseoli qu'elle me verrait avec plaisir à la, place qui m'est réservée.
Mario.—Quelle faveur!
Floria.—Oh! oui... Elle est très bonne pour moi. Or, on ne soupera qu'au petit jour, et nous ne nous verrons pas avant midi.
Mario, légèrement.—En effet!...
Floria.—Tu en prends facilement ton parti...
Mario.—Ah! par exemple...
Floria.—Mais oui. C'est drôle!... Vous acceptez cela, avec Une philosophie!
Mario.—Dis que je me résigne...
Floria.—Oh! les hommes!... Ah! j'ai bien tort de vous tant aimer,—et surtout de vous le laisser voir.
Mario, reprenant sa palette.—Oh!
Floria, regardant son tableau.—Qu'est-ce que c'est encore que cette femme-là?
Mario, cherchant derrière lui.—Cette femme?
Floria.—Là, là, sur le mur?
Mario.—Ah! la blonde?
Floria.—Non!... La rousse?
Mario.—C'est Marie-Magdeleine!... Comment la trouves-tu?
Floria.—Trop jolie.
Mario.—Trop?
Floria.—Je n'aime pas que vous fassiez les femmes si jolies!
Mario.—Si tu es jalouse aussi des femmes que je peins!
Floria.—C'est que je sais bien ce qui se passe entre elles et vous!
Mario, riant—Ah! bon!... Et qu'est-ce qu'il se passe?...
Floria.—Vous n'avez pas plutôt fait deux grands yeux à cette créature que vous vous dites: «Ah! les beaux yeux!» Et une petite bouche! «Oh! la jolie bouche!... On y mordrait!» Tant qu'à la fin, c'est elle que vous admirez, elle que vous aimez, et ce n'est plus moi!...
Mario, riant tout en travaillant.—Ah! bien!
Floria.—Et puis, avec quoi fabriquez-vous ces créatures-là? Avec vos souvenirs... ou vos désirs!... Des yeux que vous avez beaucoup regardés... Des lèvres qui vous ont dit: «Je t'aime!» Ou à qui vous voudriez le faire dire!... A qui peuvent-ils bien être ces cheveux-là,—et ces yeux d'un bleu?... Oh! je les connais sûrement!... Je les ai certainement vus quelque part!
Tout en parlant elle est montée sur l'échafaudage.
Mario, de même.—C'est probable!...
Floria, vivement.—Ah! c'est donc une vraie femme... Elle existe?...
Mario.—Cherche!
Floria.—J'y suis!... L'Attavanti!...
Mario.—Oui!... T'y voilà!
Floria.—Tu la connais donc?... Tu la vois donc?... Où la vois-tu?... Chez elle!... Ici!... Chez toi!... Ne mens pas.
Mario.—Mais...
Floria.—Mais parlez donc, répondez donc!
Mario.—Laisse-moi parler!... Je l'ai vue ici, une seule fois, hier, par hasard?
Floria.—Oh! *par hasard*!... fait hasard est admirable!
Mario.—Par hasard!... Elle est entrée tandis que j'étais à peindre; elle s'est agenouillée là, comme toi. A fait sa prière, comme toi. Et, avec ses grands yeux de pervenche levés au ciel... et ses beaux cheveux blonds!...
Floria.—Ses *beaux* cheveux, c'est bien cela!...
Mario, continuant tranquillement.—Dorés encore par le soleil couchant, elle était si parfaitement la Madeleine rêvée qu'en trois coups de pinceau je l'ai fixée là, sans qu'elle s'en soit doutée et que je lui aie même adressé la parole.
Floria.—Et pourquoi cette femme, je vous prie, et pas moi?... Je ne ferais pas une Madeleine aussi dorée qu'elle?
Mario, gaiement.—Ah! bien là, franchement, tu n'as pas l'air d'une sainte, surtout en ce moment.
Floria.—Et elle donc?... Ah! elle est bonne la marquise, avec son auréole!... Une farceuse qui trompe son mari et se promène partout avec son amant!...
Mario.—Pardon!... Ce n'est pas mi amant; mais un sigisbée, accepté comme tel, par tout le monde, et par le mari lui-même... Donc, il n'est pas trompé.
Floria.—Eh bien, je n'ai pas de mari, moi, ni de sigisbée!... J'ai un amant que j'aime uniquement et qui est tout pour moi. C'est plus honnête...
Mario, tendrement.—Aussi, je t'adore!
Floria.—Cette effrontée qui vient là poser tout exprès!
Mario.—Allons, allons, tu en folle. Laissons la marquise.
Floria.—Si elle ne ferait pas mieux de convertir son scélérat de frère.
Mario.—Oh! scélérat!
Floria.—Oh! naturellement, tu le défendras... Un ennemi de Dieu, du roi et du pape!... Un démagogue, un athée!
Mario, jetant un coup d'œil vers Angelotti, par-dessus l'épaule de Floria.—Oh! là! là!
Floria, assise sur la dernière marche.—Oui, oh! Oui. Oh! tu plaisantes... Mais c'est bien cela qui me désole. C'est que tu aies de si mauvais sentiments, avec, un si bon cœur. Un homme qui lit Voltaire!... Et cet autre encore! dont tu m'as donné un-livre, une horreur!...
Mario.—La *Nouvelle Héloïse*?
Floria.—Le père Caraffa, mon confesseur, à qui j'en ai parlé, m'a dit: «Mon enfant, brûlez vite ce livre infâme, ou c'est lui qui vous brûlera!»
Mario, vivement.—Et tu l'as brûlé?...
Floria.—Non!
Mario.—Ah! tant mieux. J'y tiens. Un cadeau de Rousseau à mon père.
Floria.—Et je l'ai lu!... Et il ne me brûle pas du tout ce livre, mais là, pas du tout!...
Mario, s'asseyant près d'elle sur l'échafaudage, les jambes pendantes.—Parbleu!
Floria.—Des bavards, ces gens-là!... Ils parlent tout le temps et ne s'aiment jamais!
Mario.—Alors, le père Caraffa se mêle aussi de tes lectures?
Floria.—Naturellement, quand je lui avoue mes péchés.
Mario.—Et les miens!
Floria.—Ce sont les mêmes!... Et, à ce propos, si tu savais ce qu'il m'a dit de toi!...
Mario.—Oh! je m'en doute bien... Je suis un sans-culotte, et un buveur de sang!
Floria.—Ah! surtout un impie,—et j'en suis assez malheureuse. Ce n'est pas faute de prier Dieu de toute mon âme pour le salut de la tienne.
Mario, la serrant contre lui.—Pauvre bon petit cœur.
Floria.—D'autant que le Padre me l'a formellement déclaré: notre liaison est abominable.
Mario.—Oh!
Floria.—Abominable!... Je l'entends encore: «Mon enfant, si vous voulez que le ciel l'excuse, faites qu'elle profite à la conversion de votre ami. Ramenez à nous cette brebis égarée et Dieu fermera les yeux sur votre faute. L'amour sacré purifiera l'amour profane. Et d'abord obtenez de lui qu'il sacrifie cet insigne révolutionnaire qu'il étale effrontément par les rues avec des airs de défi!...»
Mario.—Quel insigne?...
Floria.—Tes moustaches.
Mario.—Oh!...
Floria, avec douleur.—Ah! je? lui avais bien promis de te les faire couper!
Mario.—Tu n'en as pas soufflé mot.
Floria, de même.—Jamais!
Mario.—Pourquoi?
Floria.—C'est horrible à dire... Elles te vont si bien!
Mario.—Ah! Alors!...
Floria.—...je t'ai aimé tout de suite comme cela. Je ne peux pas me faire à l'idée de t'aimer autrement, avec un menton ras, comme celui du père Caraffa!... Seulement, voilà bien le châtiment... Je n'ose plus me confesser et lui avouer que les moustaches sont toujours là, parce que j'ai plaisir à les fréquenter. Car alors, il me défendrait de t'aimer!... Je lui répondrais!... Dieu sait ce que je lui répondrais... Un vrai scandale!... Mais mon compte est bon, va!... Je suis en état constant de péché mortel, et si je venais à mourir subitement...
Mario.—L'enfer!
Floria.—Encore si c'était avec toi!...
Mario.—Bon, qui sait!...
Floria, rassurée.—Oui, je crois que ça s'arrangera tout de même...
Mario.—Mais oui!... va...
Floria.—Grâce à la Madone, je suis très bien avec la Madone!
Mario.—Ah! alors, continuons!
On frappe à la porte.
Floria.—Chut!...
Mario.—Quoi?
Floria.—On a frappé.
Luciana, dehors.—Madame, madame!
Floria, descendant.—C'est ma femme de chambre... C'est toi, Luciana?
Luciana.—Oui, madame.
Floria, à Mario.—Ouvre.
Mario ouvre.
Scène V
Les mêmes, LUCIANA
Floria.—Qu'est-ce que c'est?... Quoi!
Luciana.—Une lettre que l'on vient d'apporter à la maison de la part du maestro.
Elle cherche la lettre sur elle.
Floria.—Paisiello? Dieu, que c'est agaçant de ne pas être un moment tranquille. (Mario, pendant ce temps, fait à Angelotti un signe de patience.) Allons, donne donc? Dépêche-toi!
Luciana.—La voici!
Floria.—Qu'est-ce qu'il me veut encore, ce vieux fou? (Lisant.) *Divine Tosca. Son Excellence monsieur le duc d'Aseoli me communique une nouvelle qui vous comblera de joie. Sa Majesté vient de recevoir une lettre du général Mêlas qui lui annonce que, le 14 courant, il a livré bataille à l'armée française commandée par le général Bonaparte, dans la plaine de Marengo, près d'Alexandrie*...
Mario, vivement.—Ah! donne, je t'en prie... (Il prend la lettre et lit de façon à être entendu par Angelotti.) ...*Le combat commencé à l'aube s'est prolongé avec un grand acharnement jusqu'à trois heures de l'après-midi et s'est terminé par la déroute complète de l'armée française... C'est une victoire éclatante pour nos armes*... (Il repasse la lettre à Floria.) Tiens, achève.
Il va s'asseoir, attristé, à gauche.
Floria, reprenant la lecture.—...*En conséquence, Sa Majesté vient d'ordonner des prières d'actions de grâces dans toutes les églises. Et j'ai pensé qu'il était de notre devoir de nous associer à cette joie patriotique... L'excès même de mon enthousiasme échauffant ma verve, je viens d'improviser une cantate en l'honneur de cette victoire...*
Mario.—Charlatan! Il veut rentrer en grâce et faire oublier sa Marseillaise parthénopéenne!
Floria, continuant.—*...Ai-je besoin d'ajouter, diva, que cette improvisation ne peut avoir quelque mérite que si vous lui prêtez, ce soir, au Palais-Farnèse, l'appui de votre prestigieux talent?... Les chœurs et l'orchestre sont convoqués. On n'attend plus que vous. Une bonne répétition nous suffira avant l'heure du souper. Venez sans retard, je vous en prie, et vous comblerez de joie le plus ardent, le plus dévoué, le plus! et cætera! Vieux singe, va...*
Le diable l'emporte avec sa cantate!
Mario, vivement.—Ah! tu ne peux pas refuser!
Floria.—Eh! non... Pour la reine!... Mais comme c'est gai de te laisser là pour aller répéter sa cantate!... Qu'est-ce que tu vas faire sans moi?
Elle s'apprête à partir.
Mario.—Je travaillerai jusqu'à la nuit.
Floria.—Et après?
Mario.—J'irai souper et coucher à la villa.
Floria.—C'est cela, oui!... Et demain matin?
Mario.—Demain matin, tu me verras à midi.
Floria.—Pourquoi si tard?
Mario.—Pour te laisser dormir.
Floria.—Je n'ai pas besoin de dormir tant que ça! Je veux que tu me réveilles.
Mario.—C'est convenu. Allons, à demain.
Floria, prête à partir, s'arrêtant.—Attends!...
Mario.—Quoi?
Floria, montrant, le tableau.—Oh! je t'en prie! Fais-lui des yeux noirs... Cela t'est bien égal, n'est-ce pas? Elle sera tout aussi Madeleine avec des yeux noirs...
Mario.—Mon Dieu, si tu y tiens?
Floria.—Oui, j'y tiens beaucoup. Comme cela tu ne penseras plus à l'Attavanti.
Mario.—Alors, c'est promis...
Floria, l'embrassant.—Tiens! Je t'adore!
Mario,—Oh! devant la Madone!
Floria.—Oh! Elle est si bonne... Elle ne m'en veut pas... A demain, trésor adoré!
Mario.—A demain, amour.
Floria sort avec Luciana.
Scène VI
Angelotti sort de, la chapelle dès que la porte est refermée et les verrous tirés.
Mario.—Ah! mon ami, quelle nouvelle!... Cette bataille?
Angelotti.—Hélas! oui! Ceci nous achève!...
Mario.—Enfin, pensons à vous... On va rouvrir l'église avant l'heure pour les prières ordonnées... Toute la ville doit être en émoi... Si nous en profitions pour sortir de la ville avant la fermeture des portes?...
Angelotti.—Sans attendre Trebelli, soit!
Mario.—Alors...
Coup de canon au lointain.
Angelotti, saisi.—Ah!
Mario.—Le signal!... On sait votre évasion!...
Angelotti.—Attendez!... C'est peut-être une salve pour cette victoire.
Ils prêtent l'oreille.
Mario.—Non!... Vous voyez!... Plus rien!... Un seul coup. C'est bien votre fuite que l'on signale!... Il n'y a plus à rester ici... Coûte que coûte, partons... Vite à ce déguisement... Dès que vous serez prêt, sortez par l'autre grille, dans l'ombre, faites le tour de l'église par ce côté... Moi, je gagnerai par l'autre la grande porte où je vous attendrai, et nous sortirons audacieusement, c'est le mieux!... Allez, allez... Voici le sacristain, et vite, le danger nous talonne!
Angelotti rentre dans la chapelle dont il ferme la grille et où il disparaît. Mario saute sur son estrade.
Scène VII
MARIO, EUSEBE, puis GENNARINO
Eusèbe, paraissant par la gauche, au fond, ses clefs à la main, et allant rouvrir les verrous à droite.—Votre Excellence a entendu?
Mario.—Quoi?
Eusèbe.—Le coup de canon!
Mario, indifféremment.—Ah! oui, n'est-ce pas pour fêter cette victoire?
Eusèbe.—Non! Non! C'est quelque jacobin qui se sera évadé du château Saint-Ange...
Mario, de même.—Peut-être...
Gennarino, entrant vivement par la droite, essoufflé. Sûrement, Excellence!... Angelotti s'est enfui!
Eusèbe.—Ah! la canaille!
Gennarino.—On crie sa fuite par les rues et le signalement avec promesse de mille piastres pour qui le livrera; et, pour qui lui donnera asile, la potence.
Eusèbe,—C'est trop peu!...
Gennarino.—Un porte-clefs, son complice, a été dénoncé par un voiturier avec qui il faisait prix, c'est ainsi qu'on a tout découvert!
Mario.—Et ce porte-clefs est arrêté?
Gennarino.—Oui, Excellence.
Mario, descendant.—Il a parlé?
Gennarino.—Oh! sûrement... On l'a mis à la question.
Eusèbe.—C'est trop peu!...
Mario, vivement.—Ma voiture est là?
Il désigne la droite.
Gennarino.—Oui, Excellence, avec Fabio.
Mario, prenant son chapeau.—Dis à Fabio de faire le tour et d'aller m'attendre sur la place, devant la grande porte... Après quoi tu viendras tout mettre en ordre. Allons, vivement, dépêche-toi!
Gennarino.—Oui, Excellence!
Il sort en tournant par la droite. Les cierges s'allument au fond et l'on commence à voir de tous côtés les fidèles, hommes et femmes.
Eusèbe, allant allumer les cierges devant la Madone.—Alors, Votre Excellence a déjà entendu parler de cette victoire de Marengo?
Mario, anxieux, regardant du côté de la grille.—Oui!
Eusèbe, même jeu, lui tournant le dos et riant. Joseph est rossé... Ah! Ah! Qu'est-ce qui a sur les doigts?... C'est Joseph!...
Mario, même jeu.—Joseph?...
Eusèbe.—Oui... oui... le Bonaparte en carton... Ah! Ah! Celui qui franchit les Alpes avec ses canons!... Farceur, va! C'est à se tordre!...
Angelotti paraît vaguement, ouvrant l'autre grille et disparaissant dans l'ombre.
Mario, à lui-même.—Enfin!...
Eusèbe.—Vous dites?...
Mario.—Rien! (L'attirant à lui pour détourner son attention.) Tenez, père Eusèbe, merci et bonsoir!...
Il s'en va vivement par le fond, à gauche.
Eusèbe.—Il est vexé tout de même, le jacobin!... Trois Pauli! (Faisant la grimace.) C'est trop peu!
Chants d'église, au fond, très affaiblis, et prières.
EUSEBE, Scarpia, SCHIARRONE Agents.
Scène VIII
Ils entrent par la droite, sur les chants très étouffés qui s'interrompent et reprennent par intervalles pendant la scène.
Scarpia, après être entré, en silence, et avoir jeté un coup d'œil, à mi-voix.—Gardez toutes les portes! Visitez l'église et faites votre besogne, sans trop éveiller l'attention. (Quatre agents remontent lentement et disparaissent par les deux côtés du fond. Au sacristain qui descend et le reconnaissant salue jusqu'à terre.) Viens ça, bonhomme. Tu es le sacristain?
Eusèbe, tremblant.—Oui, Excellence.
Scarpia.—Un criminel, évadé du château Saint-Ange, a passé la nuit dans cette église; il peut y être encore.
Eusèbe, tremblant.—Ah! mon Dieu! Ici!
Scarpia.—Où est la chapelle des Angelotti?
Eusèbe.—De ce côté, Excellence. La voici.
Scarpia, à Schiarrone.—Voyez... (Schiarrone et un agent entrent dans la chapelle. Murmures de prières au fond. Schiarrone reparaît.) Eh bien?...
Schiarrone.—Personne, Excellence. La chapelle est vide.
Scarpia.—Trop tard. L'homme s'est enfui au coup de canon. Aucune trace de son passage?
Schiarrone, montrant dans les mains de l'autre agent les objets désignés.—Pardon, Excellence. Divers objets de toilette. Un miroir, des ciseaux, des rasoirs... et des cheveux à terre.
Scarpia.—Est-ce tout?
Schiarrone.—Oui, Excellence. (L'autre agent reparaît avec un éventail.) Oh! non... Un éventail.
Scarpia.—Donnez. Ceci faisait partie de la toilette. (Il ouvre l'éventail.) Une couronne de marquise. C'est bien cela... l'éventail de l'Attavanti qu'il aura oublié dans sa hâte, ou jugé superflu... Rien autre de tel?... Aucun ajustement de femme?
Schiarrone.—Aucun, Excellence.
Scarpia.—C'est donc bien sous ce déguisement qu'il s'est enfui. Mais où?... Qui peut lui venir en aide?... (A Eusèbe.) Bonhomme! Tu n'as rien remarqué de particulier autour de cette chapelle?
Eusèbe.—Rien, Excellence... Ni avant, ni après l'ouverture des portes.
Scarpia.—Ah! tu as fermé l'église?
Eusèbe.—Comme à l'ordinaire.
Scarpia.—A clefs, bien entendu?
Eusèbe.—Sauf cette porte, quelqu'un restant à l'intérieur.
Scarpia..—Et qui donc?
Eusèbe.—Le peintre qui travaille à ce tableau.
Scarpia,—Et ce peintre s'appelle?
Eusèbe.—Cavaradossi.
Scarpia.—Allons donc!... Nous brûlons... Ah! le chevalier Cavaradossi!... Un libéral, comme monsieur son père... (En ce moment Gennarino, qui, depuis son retour, a tout rangé sur l'échafaudage, traverse avec le panier pour sortir.) Que porte cet enfant?...
Gennarino.—Excellence, c'est le panier où je mets tous les jours le goûter de mon maître.
Scarpia.—Il est vide.
Gennarino.—Comme Votre Excellence peut voir.
Scarpia.—Ton maître fait si grand honneur à tes provisions?
Gennarino.—Oh! Jamais, Excellence... C'est bien la première fois. Le vin, c'est toujours père Eusèbe qui le boit.
Eusèbe, protestant.—Si l'on peut!...
Scarpia.—Silence. (Il fait signe au petit de s'éloigner.) Cela suffit et me paraît fort clair!... (A Eusèbe.) Le chevalier était ici à ton retour?
Eusèbe.—Oui, Excellence, il part à l'instant!
Scarpia.—Tu l'as vu seul?
Eusèbe.—Comme toujours, quand il travaille, sauf visites de certaine dame.
Scarpia.—La Tosca?
Eusèbe.—Et, sans doute, elle est venue tantôt, si j'en crois ces fleurs qui n'étaient pas là à mon départ.
Scarpia.—Oui, la Tosca est fidèle à l'Eglise et au roi. Ce n'est pas elle qui trahirait!... Toutefois, nous la surveillerons. (Les agents reparaissent. Prélude des orgues qui ne cesse plus.) Eh bien, Calometti?
L'Agent.—Rien, Excellence.
Scarpia.—Aucune personne suspecte?
L'Agent.—Aucune.
Scarpia.—Nous l'avons manqué de quelques minutes!... C'est assez, pour l'instant!... Messieurs, allons rendre grâce au dieu des armées qui nous a donné la victoire!... Et prions la sainte Madone... (Il se courbe devant elle.) de bénir nos efforts dans cette autre guerre que nous faisons à l'impiété!...
Il met un genou à terre. Tous font comme lui. Le chant des orgues éclate avec toutes les voix chantant le *Te Deum*.
*Une grande salle au palais Farnèse. Au fond, trois fenêtres sur balcon, dominant la place illuminée. A gauche et à droite, troisième plan, portes latérales, deuxième plan à droite, estrade des musiciens, à gauche, glace, et, en avant, estrade et siège pour la reine. Premier plan, à droite et à gauche, portes. A droite, canapé. Toute la scène est occupée par des tables de jeux, avec joueurs des deux sexes. Invités debout, allant et venant, au fond.*
Scène première
Dès le lever, menuet, musique d'orchestre, dans les salons lointains. Attavanti et Trivulce sont en vue, à une table de jeu. Trévilhac et Capréola entrent par la gauche premier plan, et, causant, viennent s'asseoir à gauche sur le fauteuil et la chaise gauche premier plan: pendant toute la scène, mouvement des joueurs, rires étouffés, bruits de jetons, etc. Les joueurs se déplacent, se remplacent. De nouveaux venus entrent, saluant, vont et viennent; agitation constante et bourdonnement de voix.
Capréola, entrant avec des programmes de satin à la main et continuant une conversation commencée dans la coulisse.—Et alors, monsieur?...
Trévilhac.—Et alors, monsieur, mon père, qui ne se faisait pas illusion sur la capacité du feu roi Louis XVI, me dit, un jour: «Cela se gâte...» mon ami, allons-nous-en!...
Capréola, après lui avoir fait signe de s'asseoir sur le fauteuil, à gauche.—Et Votre Excellence a émigré?...
Trévilhac, s'assied. Capréola, après lui, s'assied sur la chaise.—Et mon Excellence a émigré, et, depuis dix ans, nous errons de ville en ville, Pétersbourg, Londres ou Vienne; mais tout cela ne fait pas oublier la France, et mon cher Paris me manque bien.
Capréola.—On ne doit pas y être gai, ce soir, à Paris?
Trévilhac.—Aussi, ce propre à rien de Bonaparte, qui va se faire battre par votre Mêlas.
Capréola.—Plaignez-vous!... Cette victoire-là vous rendra peut-être votre patrie.
Trévilhac.—Eh, oui! mais le moyen de se réjouir comme proscrit, en enrageant comme Français!
Capréola.—Enfin, votre exil ne sera plus maintenant de longue durée et nous aviserons à vous faire patienter jusqu'à la paix. Vous arrivez bien, du reste. La présence de Sa Majesté la reine Caroline donne à la ville quelque animation... Et la venue prochaine de Sa Sainteté sera le signal de grandes répouissances. Enfin Rome a de quoi vous distraire, et, pourvu qu'on ne se mêle ni de politique, ni de religion, la liberté y est complète.
Trévilhac.—Je n'y suis que depuis trois jours, et la vie m'y paraît fort aimable.
Capréola.—Une grande bonhomie, monsieur, surtout dans les rapports de la galanterie.
Trévilhac regardant la table de milieu où les joueurs choisissent les cartes sur les genoux des dames, leurs partenaires, et les posent, sur La table où les cartes circulent.
Trévilhac.—Oui-da!... Je vois ici, par exemple, un jeu de cartes on ne peut plus affriolant.
Capréola.—Ce groupe?...
Trévilhac.—De jeunes dames si court-vêtues et de petits monsignori si coquets. Comment appelez-vous, monsieur, ce jeu badin où les cavaliers cueillent les cartes sur les genoux des dames?
Capréola.—Le minchiate, inventé dit-on par Michel-Ange.
Trévilhac.—Je ne l'aurais jamais cru si folâtre.
Capréola, se levant à la vue de la princesse qui descend entourée de dames, saluée par les joueurs qui se lèvent à son passage et rendent les saluts.—Votre Excellence désire-t-elle que je la présente à la princesse Orlonia, dame de la reine.
Trévilhac, debout.—Comment donc, je vous en prie.
Capréola, à la princesse, après l'avoir saluée.—Monsieur le vicomte de Trévilhac, émigré français.
La Princesse.—Soyez à Rome le bienvenu, monsieur. Son Excellence a-t-elle été présentée à la reine?
Trévilhac.—Ce matin même, princesse, et Sa Majesté a daigné me convier à cette fête, à laquelle je suis bien forcé de prendre part, comme royaliste, mais sans plaisir patriotique, je vous prie de le croire.
La Princesse, regardant le programme sur satin blanc que lui a remis Capréola.—Ah! Paisiello nous promet une cantate.
Capréola.—Chantée par la Tosca.
Il remet un programme à Trévilhac.
La Princesse.—Votre Excellence a-t-elle entendu la Tosca?
Trévilhac.—Pas encore, madame. J'arrive à peine.
La Princesse.—Vous aurez là, monsieur, un vrai régal d'amateur. La Tosca est une artiste incomparable.
Capréola causant avec les dames remonte à la table du milieu.
Trévilhac, désignant le marquis Attavanti qui cause et rit bruyamment debout, à une table de droite, derrière un joueur.—Pardon, princesse, excusez ma curiosité. Quel est, je vous prie, ce personnage, dont le ventre a tant d'importance?
La Princesse.—Monsieur, c'est le mari de la plus jolie femme de Rome.
Trévilhac.—Il en a bien l'air. Et ce gentilhomme de bonne mine qui lui parle?
La Princesse.—Le vicomte Trivulce; c'est le cavalier servant de sa femme, autrement dit, son «sigisbée...»
Trévilhac.—Son amant?
La Princesse.—Oh! pardon, cela diffère. (A Attavanti qui descend à eux.) N'est-Ce pas, marquis?
Attavanti.—Princesse?
La Princesse.—J'explique à M. de Trévilhac, qui est Français, (Salutations.) qu'entre le sigisbée et l'amant il y a une différence...
Attavanti, avec complaisance à Trévilhac, tandis que la princesse remonte.—Oh! Considérable! L'amant est vin larron d'honneur introduit frauduleusement, dans le ménage. Le sigisbée est un galant officiel, dûment autorisé à faire sa cour, avec mesure et discrétion.
Trévilhac.—Vous excuserez, monsieur le marquis, un nouveau débarqué, très ignorant de vos mœurs italiennes.
Attavanti, assis dans le fauteuil.—Et c'est ici leur supériorité, monsieur. Nous avons constaté que, dans tout ménage, la femme ne se prive pas volontiers d'un galant qui lui rende des soins assidus.
Trévilhac, assis sur la chaise.—Ma petite expérience m'avait déjà fourni les mêmes conclusions.
Attavanti.—Dès lors, pourquoi lutter contre un fait qui s'impose? Ne vaut-il pas mieux l'accepter, pour le rendre inoffensif, et même en tirer quelque avantage?
Trévilhac.—Eh! oui-da...
Attavanti.—Laisser à la femme le choix de ce galant, c'est courir le risque qu'elle donné la préférence à quelque bellâtre sans relations et sans influence. Choisissons-le nous-mêmes, riche et bien apparenté; ce n'est plus qu'agrément et profit pour tout le monde.
Trévilhac.—Admirablement raisonné.
Attavanti.—C'est ainsi, monsieur, que l'usages s'est établi parmi nous, quand nous marions une fille de condition, de choisir dans son entourage un cavalier servant qui, fasse honneur à la famille par son crédit, plaisir, à madame par ses façons d'être... Les parents des nouveaux époux se réunissent à cet effet. On passe en revue les candidats. On pèse les mérites respectifs. La jeune épouse consulté dit son petit mot!... «Le cousin un tel lui sourirait assez!» Examinons le cousin!... Il est discuté, élu! Le mari court à lui, les bras ouverts; toute la famille lui donne l'accolade, et, de ce jour, monsieur, il est aux ordres de madame, qu'il accompagne à l'église, à l'Opéra, aux conversations!... Et nul ne songe à s'en étonner. Ce qui serait vraiment choquant, c'est qu'elle y parût au bras de son mari!
Trévilhac.—Mais c'est charmant, monsieur, tout à fait charmant!
La Princesse, redescendant, au marquis.—Ne verrons-nous pas, ce soir, la marquise? Je l'ai cherchée vainement.
Attavanti.—Eh! sans doute. Je m'en suis étonné moi-même. Elle n'est pas à Rome, paraît-il!
La Princesse.—Ah! Bah!
Attavanti.—Oui... Trivulce vient de me l'apprendre. (Appelant Trivulce qui a cédé sa place à la table de jeu.) Trivulce!
Trivulce, descendant, entre le marquis et la princesse.—Marquis...
Attavanti.—Dites à madame, je vous prie, ce que vous savez de la marquise.
Trivulce.—La marquise, princesse, est à Frascati.
La Princesse.—Un jour de fête?
Trivulce.—Votre Excellence n'ignore pas' l'évasion de son frère?
La Princesse.—Certes.
Trivulce.—La marquise a pensé que, dans de telles circonstances, il n'était pas décent à elle de paraître ici, ce soir, et m'a chargé d'offrir à la reine des excuses que Sa Majesté a bien voulu agréer.
Attavanti.—Sa Majesté est trop bonne. C'est précisément par sa présence que la marquise devait protester contre l'insolente évasion de monsieur son frère, afin de bien établir qu'elle n'y est pour rien... ni moi non plus; moi surtout.
La Princesse.—Personne ne le croira, marquis!...
Trivulce.—On vous connaît trop!
Attavanti.—Je l'espère!... Mais si Trivulce faisait son devoir, il irait de ce pas à Frascati, et ramènerait la marquise cette nuit même, pour qu'elle parût au moins au souper.
Trivulce.—Ma foi, marquis, tentez-le vous-même, car, pour moi, je n'y réussirais pas.
Attavanti.—C'est donc, mon cher, que vous n'avez sur ma femme aucun empire, et c'est bien ridicule, vous en conviendrez!...
Il lui tourne le dos, et Trivulce s'éloigne un peu honteux. La princesse s'assied sur ce canapé, entourée de courtisans.
Trévilhac, à mi-voix, à Capréola descendu à gauche. Comme discussion de ménage, on ne trouvera pas mieux!
Un Monsignor, qui joue à la table du milieu, à Attavanti.—Eh bien, marquis, voici de glorieuses nouvelles.
Attavanti, allant à lui, à l'adresse de tous, qui l'écoutent.—Admirables, monsignor!... Du reste, de toutes parts!... Ainsi, je reçois des lettres de Naples... on ne peut plus satisfaisantes. La terre de labour est absolument pacifiée par le colonel Pezza.
Trévilhac.—Pardon... le colonel?...
Capréola.—Pezza.
Attavanti, avec complaisance.—Autrement dit Fra Diavolo!
Les joueurs de milieu se dispersent.
Trévilhac.—Le bandit?
Attavanti.—Ah! Oui!... Jadis, il a eu quelques petites affaires. Mais cela est oublié!... Et, avec ses honnêtes brigands, il a rendu de tels services à la cause royale, que Sa Majesté l'a fait colonel, baron, et lui a donné le cordon de Saint-Georges.
Trévilhac, à lui-même.—Ce n'est pas celui-là que je lui aurais donné.
Attavanti, gagnant la droite.—Très bonnes nouvelles également de Sa Majesté qui a pêche un esturgeon de grosseur fabuleuse.
Tous, avec satisfaction.—Ah!
Attavanti.—...De lady Hamilton, plus en beauté que jamais... et de l'amiral Nelson, en ce moment à Malte, que les Anglais occupent provisoirement.
Trévilhac.—Si vous attendez qu'ils vous le rendent!...
Attavanti, assis à la table de milieu, abandonnée par les joueurs.—En somme, la guerre est finie!... Joubert tué, Macdonald disparu, Masséna terrassé, Bonaparte en miettes, Moreau dans une position épouvantable!... (Il indique un champ de bataille sur la table, entourée par les joueurs.) M. de Mêlas va le prendre en flanc, M. de Kray va le prendre en tête, M. de Reuss va le prendre en queue!... Avant quinze jours, nous aurons culbuté les Français dans le Rhin.
Trévilhac, agacé, entre ses dents.—Culbuté, culbuté!... On ne culbute pas les Français comme cela.
Mouvement de surprise.
Attavanti.—Plaît-il?
Trévilhac. à haute voix.—Ne dirait-on pas que Monsieur n'a qu'à sortir son ventre pour que les Français détalent comme des lapins.
Attavanti.—Permettez!
Trévilhac.—Mais non, monsieur, précisément... Je ne permets pas!
Il lui tourne le dos et remonte par la gauche.
Attavanti, ahuri, debout.—Moi qui croyais lui faire plaisir!
Tous.—Oui!
Attavanti.—Ces Français sont tous fous!
Scène II
Les mêmes, SCARPIA, puis SCHIARRONE
La Princesse.—Voici M. le régent.
l'orchestre, dans la coulisse, joue une gavotte. Scarpia entre par la gauche, premier plan, s'avance, est salué, et saluant.
La Princesse, debout, à Scarpia, qui vient lui baiser la main.—Rien encore d'Angelotti?...
Scarpia.—Rien!
Attavanti.—Tant pis!
Trivulce, à la princesse.—Princesse, êtes-vous des nôtres, pour le pharaon?
La Princesse.—Volontiers!
Ils remontent à la table de jeu au milieu d'autres joueurs, et Scarpia reste seul à l'avant-scène. Les autres personnages se groupent au fond causant assis et debout avec les dames. D'autres vont sur le balcon.
Schiarrone, entré depuis quelque temps et mis très élégamment, bas, à l'oreille du baron en le saluant.—Monsieur le baron...
Scarpia, à mi-voix.—Ah! C'est toi, Schiarrone! (Il s'assied à gauche dans le fauteuil. Schiarrone de même, sur la chaise.) Eh bien?...
Schiarrone, bas.—Eh bien, monsieur le baron, buisson creux.
Scarpia.—Ah!...
Schiarrone.—Nos hommes ont cerné le palais Cavaradossi... Le chevalier n'a pas donné signe de vie. Impatienté, j'ai donné l'ordre à Tibaldi d'escalader le mur du jardin et de pénétrer dans la maison dont les portes et les fenêtres sont ouvertes. Il a tout visité, de la cave au grenier. Néant.
Scarpia.—Il est en compagnie de l'autre... c'est évident. Mais où? La valetaille ne lui connaît pas d'autre logis?
Schiarrone.—Aucun!... Le chevalier s'absente, souvent, des journées, des nuits entières. Mais, sans jamais dire où il va. C'est un ruse qui se sait suspect et se méfie.
Scarpia.—Oui, comme le renard, il a plusieures gîtes... Et la Tosca?
Schiarrone.—Rien non plus de ce côté. La Tosca est rentrée chez elle, après sa répétition, a soupé seule, s'est mise à sa toilette et vient d'arriver au palais. Dans tout cela, pas ombre de Cavaradossi.
Scarpia.—Et l'Attavanti?
Schiarrone.—La surveillance de sa maison n'a rien donné non plus. La marquise est à Frascati.
Scarpia.—Je le sais, mais j'espérais que, l'affaire étant manquée de ce côté, un avis secret la ramènerait à Rome, qu'elle ferait acte de présence ce soir au palais, pour détourner les soupçons, et que, par l'intimidation, la menace, et, au pis aller, son arrestation...
Schiarrone, surpris.—La marquise?
Scarpia.—Et pourquoi pas? Sa complicité est assez prouvée par l'éventail!
Schiarrone.—M. le marquis est si bien en cour...
Scarpia.—...Qu'il n'aurait garde de se compromettre en intervenant pour sa femme: mais ce sont là paroles inutiles, puisque la marquise est absente.
Schiarrone.—M. le baron croit vraiment la Tosca étrangère à tout ceci?
Scarpia.—Que sais-je?... Cet homme est bien fin pour mettre une femme dans sa confidence, celle-là surtout qui est des nôtres... Nous allons bien voir, du reste, car la voici... (il se lève.) Nos hommes Sont en bas?
Schiarrone, debout.—Oui. Excellence.
Scarpia.—Qu'ils y restent!... Et toujours à ma portée!
Ici la musique cesse. Schiarrone sort par la gauche.
Scène III
Les mêmes, FLORIA
Elle entre en grande toilette par la seconde porte à droite, entourée de galants et donnant sa main à baiser à Capréola, Trivulce, Attavanti et à tous les petits monsignori qui se disputent cet honneur.
Attavanti.—Ah! Voici la charmante, l'exquise, la divine!
Capréola.—On ne sait jamais, diva, quel plaisir est le plus grand: de vous voir ou de vous entendre.
Floria, gaiement, descendant.—Ainsi, jugez, quand on a les deux à la fois... (Sans y prendre garde, donnant tantôt la main droite à baiser, tantôt la gauche, elle tend l'une machinalement à Trévilhac qui s'en empare et la baise si longuement, qu'elle s'étonne et se retourne et le regarde, surprise de ne pas le connaître.) Ah! Pardon, un inconnu, il y a maldonne.
Trévilhac.—Alors, signora, coup nul... Recommençons!...
Il réitère.
Floria, riant.—Français, n'est-ce pas? Cela se voit!
Trévilhac.—A l'accent?...
Floria, de même.—Des baisers, oui.
Capréola.—M. le chevalier de Trévilhac, que j'ai l'honneur de vous présenter.
Floria, riant.—Il est bien temps! (Tout en descendant, elle arrive à Scarpia qui, silencieusement, lui baise la main.) Ah! bonjour, baron... Eh bien! Et votre fugitif?
Scarpia.—Son sort, vous intéresse?
Floria.—Eh! oui, le pauvre!
Scarpia.—Un criminel d'Etat! Vous plaignez ce misérable?.
Floria.—Oh! ma foi, baron, un homme qui fuit, la potence n'est plus un misérable!... C'est un malheureux.
Scarpia.—Et s'il frappait à votre porte, vous l'ouvririez?
Floria.—Oh! tout de suite.
Scarpia, toujours souriant.—Savez-vous que VOUS y joueriez cette jolie tête?...
Floria.—Raison de plus!... (Elle se détourne.) Ah! bonsoir, princesse.
Elle continue à parler bas, à rire, etc., avec d'autres empressées. Les domestiques reportent au fond les sièges qui sont à gauche de la grande table pour préparer l'entrée de la reine.
Scarpia, seul à l'avant-scène, la suivant des yeux.—Est-ce ignorance, ou bravade?
Un huissier de la chambre, au fond à droite, a voix très haute.—Messieurs, la reine!
Scène IV
Les mêmes, MARIE-CAROLINE, DIEGO NASELLI, Prince d'Aragon, LE GENERAL FRŒLICH, Officiers anglais, napolitains, autrichiens, LE DUC D'ASCOLI, PAISIELLO, Cardinaux, monsignori, musiciens, choristes, etc.
Tandis que les domestiques enlèvent la table et les sièges devant l'estrade, et les emportent dans la coulisse par le fond, tous les joueurs se lèvent et s'effacent pour faire place à la reine qui entre par la seconde porte de gauche, et descend, suivie à deux pas de distance par le prince d'Aragon et le général Frœlich. La reine descend, saluée par tous, et s'arrête devant Floria qui lui fait une grande révérence, tandis que le prince d'Aragon remet un programme à la reine.
Marie-Caroline.—Bonjour, ma chère. Etes-vous en voix, ce soir?
Floria.—Je ferai en sorte que Votre Majesté ne soit pas trop mécontente de son humble servante.
Marie-Caroline.—Est-ce réussi, au moins, cette cantate?
Floria.—Je crois que Votre Majesté en sera satisfaite.
Marie-Caroline.—Paisiello a bien des sottises à se faire pardonner.
Paisiello, à droite, à l'écart, reste très humble sous les regards tournés vers lui.
Floria.—Je puis assurer à Votre Majesté qu'il est encore plus repentant que coupable.
Marie-Caroline.—Bon, ma chère, ne parlez pas; mais chantez pour lui; cela suffira peut-être. (Elle se détourne. Paisiello remonte, enchanté. La reine, à Attavanti.) Bonsoir, marquis!... (Apercevant Scarpia.) Ah! C'est toi, Scarpia!... (Elle descend un peu, et se trouve isolée avec lui, à l'avant-scène; les autres se retirent par discrétion.) Eh bien, quelles nouvelles d'Angelotti?
Le prince d'Aragon et Trivulce, à droite, avec la Tosca.
Scarpia.—Bien de positif, encore, madame, sinon qu'il n'a pas dû quitter Rome.
Marie-Caroline.—Prends garde que cette aventure ne te soit fatale. Tu as bien des ennemis.
Scarpia.—Les mêmes que Votre Majesté!
Marie-Caroline.—Et ces gens-là font courir de mauvais bruits sur ton compte!
Scarpia.—J'arrête journellement ceux qui calomnient la reine.
Marie-Caroline.—On constate qu'Angelotti, enfermé depuis un an, n'a réussi à s'échapper que huit jours après ta venue.
Scarpia.—On m'accuserait?...
Marie-Caroline.—Sa sœur est riche et belle!
Scarpia.—Votre Majesté me croit coupable?...
Marie-Caroline.—Ta réponse est facile.... Trouve Angelotti!
Scarpia.—Oh! cette nuit même...
Marie-Caroline.—Tant mieux pour toi, car j'aurais bien du mal à conjurer la mauvaise humeur du roi.
Elle se détourne. On entend de grands cris sur la place; ritournelle de la saltarelle.
Le Prince d'Aragon.—Votre Majesté ne donnera-t-elle pas à ce bon peuple la joie de lui témoigner son adoration?
Marie-Caroline.—Oui, certes! Les braves gens!
Chœur et orchestre sur le place, jouant la salterelle. Les acclamations redoublent. La reine remonte vers la fenêtre du milieu, à droite de la grande table, suivie de son entourage, et s'avance sur le balcon. Autres personnages en scène se portent vers les deux autres fenêtres. A la vue de la reine, les vivats ne cessent plus, ainsi que les chants. Le balcon est envahi par les assistants.
La foule, après avoir crié: «Vive la reine!»—Angelotti!... Angelotti!... A mort!...
Trévilhac, à Capréola.—Que disent-ils?
Marie-Caroline, sur le seuil de la fenêtre du milieu, se tournant vers Scarpia, seul au milieu de la scène.—Tu entends, Scarpia! Ils demandent la tête d'Angelotti.
Scarpia, froidement.—Oui, Majesté!
La foule.—Scarpia! A mort, Scarpia!
Marie-Caroline, même jeu.—Et la tienne.
On rit.
Scarpia, de même, regardant fièrement le groupe formé à gauche par Capréola, Trivulce, et autres qui ricanent.—Naturellement, la canaille romaine serait la plus hideuse des canailles, s'il n'y avait pas la canaille napolitaine! («Vive la reine! Vive la reine!» Musique et chœurs sur la place. Les cris s'apaisent. Seule la musique continue. Scarpia redescend seul devant la table. Tous écoutant au fond, debout ou assis, la tête tournée vers la place.) Allons, si Angelotti se dérobe, c'est la disgrâce prochaine, et ces courtisans qui la flairent font déjà gorge chaude à mes dépens. Ce n'est pas cette femme que je redoute, mais l'autre, l'Hamilton, qui veut qu'Angelotti soit pendu et qui ne me pardonnera jamais sa proie qui lui échappe. Un mot de cette Anglaise qui mène tout là-bas, et c'est fait de moi. (Il descend au fauteuil où il s'assied.) Voyons, du calme! Que faire? Arrêter Cavaradossi demain, dès qu'il affectera de se faire voir? Et après? Angelotti sera déjà loin. C'est avant l'ouverture des portes, qu'il me faut ces deux hommes... Et comment?... J'ai beau chercher. Je ne vois toujours que cette femme qui ne sait rien ou qui ne voudra rien dire. (Il regarde la Tosca en ce moment à la balustrade des musiciens, où elle cause avec Paisiello, un morceau de musique à la main, déchiffrant.) Du moins, contre l'autre, l'Attavanti, j'avais une arme: cet éventail, mais ici... Ici? (Il s'arrête frappé d'une idée subite.) Pourquoi pas la même? Voyons donc! Voyons donc! Une femme très amoureuse, très passionnée!... Avec un mouchoir, Jago a fait bien du chemin... Ou elle sait et je lui fais tout dire, ou elle ignore... Et, pardieu, c'est elle qui trouvera, elle trouvera pour nous! (Fin de la saltarelle.) Quel policier vaut une femme jalouse? (Debout.)...Allons, allons, j'y suis, cette fois... Et, à la bonne heure, je me retrouve!
Pendant ce temps, Floria est venue s'asseoir sur le canapé à droite de la scène, son morceau de musique à la main, et Scarpia a traversé la scène, allant à elle derrière le canapé, par un détour. Orchestre dans les salons lointains jouant l'andante en *sol* majeur de la symphonie de Haydn en *ré* majeur.
Scène V
FLORIA, SCARPIA, Personnages, au fond.
Scarpia, accoudé sur le canapé derrière Floria, prenant sa main sur le bras du canapé et la serrant doucement dans ses deux mains, en souriant.—Savez-vous bien, signora, que je pourrais mettre les menottes à cette jolie main-là et vous envoyer au château Saint-Ange?
Floria, tranquillement, occupée de son papier, sans retirer sa main.—M'arrêter?
Scarpia, de même.—Oui-da?
Floria, de même.—Pourquoi?
Scarpia.—Pour étalage de couleurs séditieuses.
Floria, de même.—Ma robe?
Scarpia.—Ce bracelet!... Rubis, diamants et saphirs. Tricolore, tout bonnement!
Floria, vivement, retirant son bras.—Ah! C'est vrai!... Si la reine le voit!...
Scarpia.—Quelle plaisanterie! Nul que moi n'y prendra garde. Vous êtes trop connue pour votre dévouement à l'église et au roi... (il s'assied près d'elle.). malheureusement!
Floria.—Comment! Malheureusement?
Scarpia, galamment.—Eh oui! J'aurais plaisir à vous avoir pour prisonnière.
Floria, gaiement.—Dans un cachot?
Scarpia, de même.—Et sous triples verrous, pour vous empêcher de fuir.
Floria.—Et la torture aussi, peut-être?
Scarpia.—Jusqu'à ce que vous m'aimiez.
Floria, reprenant son papier.—Si vous n'avez que ce moyen-là!
Scarpia.—Bon; les femmes ne détestent pas un peu de violence.
Floria.—C'est qu'en vérité on fait courir d'assez vilains bruits sur ce qui se passe là-bas, avec les femmes.
Elle revient à son papier de musique.
Scarpia, souriant.—Bah! Que ne dit-on pas? Ce vieux château paye aujourd'hui pour ses fredaines d'autrefois. C'est au souvenir des Borgia qu'il doit cette méchante renommée. Est-ce que c'est vraiment bien, cette cantate de Paisiello?
Floria, même jeu.—Peuh! Il aurait aussi bien fait de donner cela à la Romanelli.
Scarpia.—Et de ne pas vous troubler si mal à propos dans vos dévotions à l'église Saint-Andréa.
Floria, tournant les feuillets.—Ah! Vous savez?...
Scarpia.—Oh! par profession, je sais tout.
Floria, de même.—Il n'y a pas grand mérite à cela: je ne me cache guère.
Scarpia, riant.—C'est vrai! Il est donc bien charmant, ce Français.
Floria.—Français?... Il est Romain.
Scarpia.—Oh! si peu, je veux dire par ses opinions... Comment, bien pensante comme vous l'êtes, pouvez-vous échanger trois mots avec ce voltairien sans, lui arracher les yeux.
Floria.—C'est que c'est trois mots-là sont: je t'aime!
Scarpia.—A la bonne heure... Mais on n'aime pas tout le temps?...
Floria.—Mais si.
Scarpia.—Enfin, vous causez bien un peu, dans l'intervalle. Et, avec ses idées révolutionnaires...
Floria.—Bah! L'amour songe bien à cela. Vous savez la réponse de la Venotti au roi qui lui reprochait d'aimer un sans-culotte. «Ah! ma foi, sire, naturellement, l'amour!»
Scarpia.—Oui, mais vous savez la suite. Trois jours après, son républicain la plantait là. Moralité: ne pas croire à celui qui, lui-même, ne croit à rien. Athée en religion, athée en amour: cela se tient.
Floria.—Ah! bien, vous êtes loin de compte.
Il est pour moi d'une dévotion...
Scarpia.—En êtes-vous bien sûre?
Floria, le regardant, vaguement inquiète.—Oui, j'en suis sûre. Pourquoi dites-vous cela?
Scarpia.—Eh! mon Dieu!
Floria, de même.—Vous savez quelque chose. Quoi! Qu'est-ce que vous savez?... Mais, parlez donc, voyons!
Scarpia.—Mais non. Rien, rien! Diamine!... Quelle vivacité! Un doute, rien de plus; scepticisme professionnel. Mais, d'honneur, je ne sais rien. Allons, c'est entendu; le chevalier vous adore. Il est fidèle, et je le crois sans peine: cela lui est bien facile.
Floria, rassurée à demi seulement.—A la bonne heure.
Scarpia, tirant l'éventail.—Je suis même tellement convaincu, que je n'hésite plus à vous remettre cet objet.
Fin de l'andante.
Floria.—Cet éventail?
Scarpia.—Oui, le hasard m'a conduit tantôt à Saint-Andréa; le chevalier venait de partir.
Floria, vivement.—A quelle heure?
Scarpia.—Vers complies.
Floria, saisie.—Il devait travailler jusqu'à la nuit!
Scarpia.—Enfin, il était absent et, comme par curiosité, j'examinais son travail, j'ai vu cet éventail oublié sur son escabeau et, de peur qu'il ne fût dérobé, je l'ai pris pour vous le rendre.
Floria, saisie.—Sur son escabeau!...
Scarpia.—Oui! J'hésitais à vous le restituer; car enfin... Mais vous êtes tellement sûre de lui... Eh! mon Dieu, signera, qu'avez-vous?
Floria, qui a ouvert l'éventail.—Mais cet éventail n'est pas à moi!
Scarpia.—Est-ce possible!
Floria, regardant l'éventail.—Mais non! non, non!...
Scarpia.—Ah! maladroit! Qu'ai-je fait?
Floria, même jeu.—A qui peut-il être? A qui? Une couronne de marquise!...
Scarpia.—En effet! Comment ce détail m'a-t-il échappé?
Floria, debout.—Marquise!... L'Attavanti!
Scarpia, feignant la surprise.—Hein?
Floria.—C'est l'Attavanti!
Scarpia.—Pourquoi elle?
Floria.—Oh! pourquoi?... C'est elle! Oh! c'est elle!... Je la devine! Je la sens, là, sous mes doigts! Elle sera venue après mon départ! comme hier!
Scarpia.—Ah! Hier?...
Floria.—...Ou plutôt, non! elle était là, à mon arrivée... elle s'est cachée... Et ces retards à m'ouvrir, ces chuchotements!... Son embarras à lui... sa hâte de me voir partir! Ah! maudite!... Elle était là qui me voyait, m'écoutait!... Et, quand je suis sortie... elle s'est jetée dans ses bras, riant de moi!...
Scarpia.—Oh!
Floria.—...De moi!... Avec lui... Dans ses bras!... Ah! Ruffiane, je t'arracherai le cœur!
Scarpia, debout.—Etes-vous bien sûre?... Et si vous vous trompiez?
Floria.—Je me trompe? Vous allez voir si je me trompe... (Appelant le marquis.) Marquis!...
Attavanti.—Signora!
Floria.—Deux mots, je vous prie.
Attavanti.—Quatre, et que ce soit un ordre, diva, pour me donner la joie de vous obéir!
Floria.—Un renseignement seulement! Connaissez-vous cet éventail?
Attavanti, regardant avec son binocle.—Cet éventail? Pas du tout.
Floria.—Il a été perdu dans une église et, comme il porte une couronne de marquise, on a pensé que, peut-être, il appartenait...
Attavanti.—A ma femme?
Floria.—Précisément!
Attavanti.—Oh! mais, pardon, alors, ce n'est pas à moi qu'il faut demander cela. (Appelant.) Trivulce!
Trivulce, descendant.—Marquis!
Attavanti.—Dites-moi, mon cher, reconnaissez-vous cet éventail comme appartenant à ma femme?
Trivulce.—Parfaitement!
Floria.—Ah!
Attavanti.—Vous voyez!... Oh! lui ne peut pas s'y tromper.
Scarpia.—Vous êtes sûr?
Trivulce.—Très sûr! J'ai commandé moi-même la couronne de perles chez Costa.
Attavanti.—Oh! alors...
Trivulce.—C'est tout?
Attavanti.—C'est tout, pour vous, cher ami, merci. (Trivulce remonte.) Quant à moi, signera...
Floria.—Vous, marquis, vous demanderez à votre femme de ma part: Comment son éventail se trouve chez mon amant.
Attavanti.—Impossible! Trivulce qui fait si bonne garde!
Floria.—Oh! Ce n'est pas avec lui que je m'expliquerai; c'est avec elle.
Attavanti.—La marquise?
Floria.—Oui. Où est-elle, votre femme, que je lui casse son éventail sur-la figure?
Elle gagne la gauche, en remontant, pour chercher la marquise parmi les dames qui sont au fond.
Attavanti, lui barrant le passage.—Ah!
Scarpia, de même.—Vous ne ferez pas cela!
Floria.—En plein bal!
Attavanti.—Devant là reine?
Floria.—Ah! la reine!... Elle a des amants, la reine! Elle me comprendra!
Attavanti.—Bon Dieu!
Scarpia.—Taisez-vous!
Attavanti, tranquille.—Rien à craindre, du reste! La marquise n'est pas là.
Il remonte vers la droite pour s'éloigner.
Floria, vivement.—Elle n'est pas là?
Attavanti.—Non! elle est partie pour Frascati.
Floria, à gauche, avant-scène.—Ah! Frascati! Elle a fait croire!... Oh! Je comprends. Elle est avec lui! L'infâme!...
Attavanti et Scarpia.—Avec lui!
Floria.—Oui, oui, ils sont là-bas! Pour souper ensemble et pour y passer la unit.
Scarpia, vivement, allant à elle.—Là-bas?
Floria.—Oui!
Scarpia.—Et où... là-bas?
Floria, passant devant lui.—Ah! je vais vous le dire, n'est-ce-pas, pour que-vous les préveniez?
Scarpia.—Mais non! Je vous jure...
Floria.—Allons donc! La police n'a rien à voir là dedans... La police!... C'est moi, la police, et j'y cours.
Elle veut remonter vers le fond à droite.
Scarpia, remontant vivement pour lui barrer le passage.—Et le concert?
Attavanti, même jeu, près de Scarpia.—La cantate?
Floria.—Ah! Je m'en moque pas mal de la cantate!
Scarpia.—Mais c'est impossible!
Attavanti.—Quel scandale!
Floria, redescendant pour gagner la première porte à droite.—C'est encore ça qui m'est égal, le scandale!
Attavanti.—Mais, diva!...
Scarpia.—La reine!...
Floria.—Dites à la reine que je suis malade, enrouée; que je ne peux pas chanter! Dites ce que vous voudrez. Bonsoir!...
Elle passe devant le canapé pour gagner la sortie à droite.
Scarpia, la devançant vivement de ce côté en passant derrière le canapé.—Mais c'est insensé!
Attavanti.—Elle n'en croira rien!
Floria.—Alors, dites-lui que mon amant me trompe! Elle comprendra!...
Scarpia.—Tosca! Au nom du ciel!...
Floria, prête à sortir par la droite.—Laissez-moi!...
Scarpia, lui barrant le passage devant la porte.—Alors, pardon! Ce n'est plus l'ami qui parle, mais le régent de police. Je vous arrête.
Floria,—Vous?
Scarpia.—Mon Dieu, oui!
Floria.—Et vous m'empêcherez?... Vous ferez cela? Vous, complice de la femme de cet imbécile!
Attavanti.—Hein?...
Scarpia.—Je ferai mon devoir, en vous obligeant à faire le vôtre, qui est de chanter...
Floria.—Mais, je ne peux pas! J'ai bien envie, je suis bien en état de chanter! Est-ce que je peux chanter?
Scarpia.—Mal ou bien, peu importe! mais la cantate, s'il vous plaît, la cantate!
Floria.—Ah! Dieu!
Scarpia.—Et après, sur mon honneur, je vous permets de sortir... je vous y aide!
Floria, vivement.—C'est promis?
Scarpia.—Je le jure!
Floria, prenant son cahier de musique sur le canapé.—Alors, vite! Tout de suite! Commençons!...
Scarpia.—Doucement!
Floria.—Ah! Coquine!... Et lui!... Ah! Dieu, me tromper ainsi! Est-ce possible?... Mon Dieu, est-ce possible!
Elle tombe assise et pleure.
Scarpia, derrière le dossier du canapé.—Allons, diva, courage! Remettez-vous.
Floria, assise, de même, essuyant ses yeux.—Où en sont-ils maintenant?... Dieu le sait! Ils soupent!...
Scarpia.—Peut-être!
Floria.—Ils ont fini?... Vous croyez qu'ils ont fini de souper?
Scarpia.—C'est probable!...
Floria.—Et je suis là... moi, tandis...
Scarpia, apercevant la reine qui reparaît au fond, sur le balcon.—La reine!... Allons... patience, c'est l'affaire d'un petit quart d'heure!
Floria.—Mais c'est long, un quart d'heure! C'est très long!
Elle se lève à la vue de la reine. Les musiciens s'installent à leurs pupitres.
Paisiello, à Floria qui est toujours devant le canapé.—Vous êtes prête, diva?
Floria.—Oui, oui, je suis prête! Dépêchons, dépêchons!
Les musiciens accordent leurs instruments.
Paisiello.—*Si* naturel, n'est-ce pas?
Floria.—Non, bémol!...
Paisiello.—Oh!
Floria, violemment.—Bémol!
Paisiello, retournant à ses musiciens.—Bémol! Bémol!
On enlève le canapé par la droite, premier plan. Reprise sur la place de la saltarelle avec chœurs, et, cette fois, fanfare. A la première attaque de l'air, les domestiques ont rapidement pris tous les sièges reportés au fond, peu à peu par les assistants eux-mêmes, et les placent en ligne, sur deux rangs, faisant face au public, devant la fenêtre du milieu et celle de droite, pour que les dames y prennent place. Un intervalle est laissé entre le mur du fond et les chaises pour les courtisans, officiers, etc. Tandis que la table du milieu, enlevée vivement, est emportée par le premier plan à gauche, ainsi que le fauteuil. La scène est donc absolument vide. Il ne reste plus que le canapé à droite. Le trône de la reine, un tabouret devant le trône, contre le mur, destiné au prince d'Aragon, et un autre tabouret, de l'autre côté, pour Frœlich. La reine entre en scène par la fenêtre de gauche, trouvant devant elle le chemin libre, et suivie par tous les assistants qui se rangent, les femmes sur deux rangs debout, devant les chaises du fond; les hommes derrière les dames: Paisiello restant en scène, hors de la barrière, ainsi que la Tosca et Scarpia. Les choristes, entrés par la porte du troisième plan de droite, se groupent devant cette porte. La reine, après quelques mots échangés avec le prince d'Aragon et Frœlich, monte sur l'estrade. Ces mouvements sont exécutés vivement, mais sans confusion. Pendant tout le temps que dure le chœur et la saltarelle, à la dernière mesure, tout le monde doit être en place. Attavanti, Trivulce, Trévilhac, Capréola, au premier plan à gauche. On ferme les fenêtres.
Floria, à mi-voix.—Allons, finira-t-elle par s'asseoir, cette reine?
Scarpia.—Plus bas, de grâce!
La reine s'assied. Toutes les dames font comme elle. Le prince d'Aragon et Frœlich prennent place sur leurs tabourets. Capréola s'incline devant la reine, qui fait un signe de consentement, et s'avançant vers Paisiello.
Floria, de même.—Enfin, ce n'est pas malheureux!
Capréola, à Paisiello.—Monsieur, vous pouvez commencer.
Paisiello, très agité.—Oui, Excellence!... (A l'orchestre.) Allons, messieurs!
Derrière Floria, à son oreille.
Floria.—Oui!
Paisiello.—Largo! Largo!
Floria.—Tu m'ennuies!
Paisiello.—Oui, charmante. (A Scarpia.) Elle a ses nerfs!
Scarpia, souriant, à droite, devant l'estrade.—Un peu.
Paisiello.—A nous, messieurs!
Il remonte aux musiciens, frappe sur le pupitre et attaque l'introduction. Floria remonte et, se plaçant en face de la reine, lui fait une grande révérence et s'apprête à chanter. Au même instant, et pendant les premiers accords, un aide de camp entre par la gauche, premier plan. Capréola va à lui et, après l'avoir entendu, dit un mot au prince d'Aragon qui parle bas à la reine tandis que Capréola remonte devant le trône en attendant les ordres. Sur un signe de la reine, il se dirige vers Paisiello et tout haut.
Capréola.—Doucement, messieurs! Suspendez, s'il vous plaît.
Paisiello, effaré.—Basta! basta!
La musique s'arrête court, Scarpia va vivement a Capréola qui lui dit tout bas: «C'est une lettre du général Mêlas!»
Floria.—Qu'est-ce encore?
Scarpia, à Floria.—Un courrier! Une lettre du général Mêlas.
Pendant ce temps, l'aide de camp remet la lettre du prince d'Aragon qui se lève et, s'inclinant, la remet à la reine.
Floria, à elle-même.—Ah! mon Dieu! Encore un retard!... Elle ne peut pas la lire plus tard sa lettre?
Scarpia, la calmant.—D'un général victorieux!... Chut! allons...
Floria hausse l'épaule et remonte vers Paisiello en tordant son mouchoir. La reine se lève, tous se lèvent. Profond silence.
Marie-Caroline.—Ceci, messieurs, vient bien à point pour le couronnement de la fête. C'est une lettre du général Mêlas qui m'envoie de nouveaux détails sur son triomphe. (Murmures de satisfaction. Marie-Caroline rompant le cachet.) Je ne veux céder à personne le plaisir de nous faire connaître ce bulletin de victoire. Je vous le lirai moi-même.
Tous font un mouvement pour se rapprocher d'elle à distance respectueuse. Vivats, acclamations, sur la place.
Attavanti, ravi.—Entendez-vous?
Scarpia, à mi-voix, au milieu.—Ils ont vu le courrier, ils applaudissent!
Marie-Caroline, qui, pendant ce temps, a déplié la lettre, la lit.—D'Alexandrie, minuit du 14 au 15 juin. (Profond silence.) Madame. A la chute du jour, l'ennemi, renforcé d'une nouvelle armée, après un combat livré dans les mêmes plaines de Marengo, pendant une grande partie de la nuit a battu nos troupes...
Elle retombe assise.
Tous, exclamations de déception.—Oh!
Marie-Caroline, dont la voir s'altère et faiblit à mesure qu'elle avance dans sa lecture....victorieuses dans la journée. En ce moment, campés sous les débris de notre armée... (Murmures de déception plus grand.) et nous délibérons sur...
Sa voix s'éteint, laissant glisser la lettre, elle s'évanouit dans son fauteuil. Les femmes l'entourent vivement pour la ranimer et la cachent au public pendant tout ce qui suit.
Scarpia, s'avançant.—Messieurs, la reine s'évanouit!... Vite... un médecin. (Mouvement, d'effarement. La foule pousse des cris de joie.) Vivat! Vivat! Victoire! Victoire!
Les chœurs et l'orchestre reprennent sur la place la saltarelle dans un mouvement enragé jusqu'au tomber du rideau.
Attavanti, effrayé, gagnant le milieu.—Imbéciles... qui applaudissent...
Trivulce.—...qui crient: «Victoire!»
Attavanti.—Faites-les donc taire!
On ouvre les fenêtres, Trivulce, Capréola, etc., bousculant les chaises, courent au balcon et font de grands gestes de silence à la foule qui crie de plus belle.
Capréola, redescendant.—Ah! oui, ils sont lancés, à présent!
Tout le monde se disperse. Les musiciens ramassent leurs instruments. Paisiello va, vient, s'agite, désespéré.
Floria, sortant de ses réflexions, à Trivulce.—Qu'est-ce que c'est, quoi? Qu'est-ce qu'ils ont tous?
Trivulce.—Vous n'avez pas écouté?
Floria.—Non, je ne sais pas! J'étais ailleurs! Une victoire?
Capréola.—Eh! non, Bonaparte nous à battus!...
Floria.—Ah! (Ravie.) Alors, on ne chante plus?
Trivulce.—Parbleu, non!
Les musiciens disparaissent avec les chœurs.
Floria, jetant au vol son cahier de musique.—Ah! Quelle chance!... Je me sauve!... (A Luciana.) Vite! mon manteau!
Luciana lui jette vivement sa plisse sur les épaules.
Capréola.—Comprend-on cet animal qui perd la bataille le matin et qui la gagne le soir!
Il remonte avec Trivulce.
Floria.—Eh bien! Je vais faire comme lui!
Elle sort par la droite.
Scarpia, seul à gauche, à l'avant-scène, avec Schiarrone. Vivement à Schiarrone.—Tes hommes en voiture... La mienne, vite, et la suivre de loin. (A Attavanti qui cause avec Trivulce tandis que Schiarrone s'élance dehors.) Allons, marquis, je vous enlève!
Attavanti, surpris.—Pour?...
Scarpia, lui prenant le bras.—La chasse!... Vous comprendrez plus tard... Dépêchons...
Il l'entraîne par la même porte que Floria.
Trévilhac, redescendant au fond, en riant aux éclats.—Non! Cette fameuse victoire qui est une défaite, c'est trop drôle!
Capréola.—Pas pour vous!
Trévilhac.—Ah! ma foi! tant pis! Je suis battu! Mais nous sommes vainqueurs! Vive la France!
La musique et les cris qui n'ont pas cessé redoublent sur la place, malgré les gestes de Trivulce, Capréola et autres qui se précipitent de nouveau sur le balcon pour les faire taire.
*Rez-de-chaussée d'une villa. A gauche, premier plan, très en vue, porte d'intérieur à deux battants. Plus loin, dans l'angle formé par la rencontre des deux murs, installation d'atelier provisoire: chevalet, la plus grande partie du décor, au fond, est occupée par des arcades à jours, ainsi que toute la droite du théâtre. Ces arcades ont un soubassement, sauf au premier plan, à droite, où il y a passage, et, au fond, vers le milieu. Elles laissent voir un portique régnant tout autour du bâtiment et formé par des colonnes qui portent des traverses munies d'une treille. Au delà, on aperçoit le jardin, éclairé par la lune, des cyprès, une, fontaine Renaissance, etc. Une table à droite de la scène et une grande milieu du fond. Chaises, fauteuils, etc. Une colonne près de la porte.*
Scène première
Au lever du rideau, la scène est vide. Ceccho paraît le premier, au fond, à l'entrée, portant un flambeau qu'il va poser sur lu colonne. Mario suit Angelotti, et portant sur son bras ses vêtements de femme.
Mario.—Ici, respirons et réjouissons-nous. Vous êtes en sûreté!
Angelotti.—Grâce à vous!
Mario.—Et traverser Rome, sous ce déguisement, sans attirer l'attention, même la nuit, ce n'était pas petite affaire!... Ceccho, gardien du logis, le plus fidèle des serviteurs, est aussi le plus habile des cuisiniers. Il va nous improviser un excellent souper. Après quoi, dispos et lucides, nous examinerons tranquillement la marche à suivre. (A Ceccho.) Ton fils est là?
Ceccho.—Oui, Excellence.
Mario.—Dis-lui de fermer avec soin toutes les portes et d'avoir l'œil au guet.
Ceccho sort.
Scène II
Mario.—Nous sommes ici, mon cher hôte, comme vous l'avez pu voir à la clarté de la lune, entre les Thermes de Caracalla et le mausolée des Scipions. Le séjour est bien un peu mélancolique. Ce n'est, autour de nous, que ruines et tombeaux, tous les débris de la Rome antique; un désert poudreux, avec quelques oasis de cultures maraîchères... Mais cette tristesse même n'est pas sans charmes. J'aime cette solitude peuplée de grands souvenirs, où je n'entends que les abois des chiens de garde, le roulement des charrettes lointaines, les cloches voisines de Saint-Sixte et Saint-Jean, et les rumeurs étouffées de la Rome vivante qui parlent moins à ma pensée que le silence de la morte.
Angelotti.—Ceci est votre demeure?
Mario.,—Pas précisément. J'habite au cœur même de la ville, sur la place d'Espagne, une vieille maison qui, porte encore Je nom prétentieux de «Palais Cavaradossi». Ceci est ma campagne, ma villa, ma *vigne*, comme disent nos Romains. Toutefois, je n'y suis qu'à titre de locataire, et pourtant cette habitation fut construite par un de mes ancêtres, Luigi Cavaradossi, sur les ruines d'une villa antique. Mais elle n'était plus aux Cavaradossi depuis bien des; années, quand, surpris par un orage dans les Thermes de Caracalla, je vins ici chercher un abri. Ceccho m'ouvrit la porte: vieille connaissance, il avait été au service de mon père. Il m'apprit que la villa, dont il avait la garde, appartenait présentement à un Anglais, chassé de Rome par la guerre, et qu'elle était à vendre ou à louer. J'eus la curiosité de visiter ce logis de mes aïeux. Il était, comme vous le voyez, fort habitable. Ma première pensée fut de l'acheter; mais, je vous l'ai dit, je ne compte pas prolonger ici un séjour dangereux. L'acquisition eut été une folie. Il était sage, au contraire de louer, à l'écart, une habitation charmante qui m'offrait, avec un abri contre les chaleurs de l'été, un asile contre les tracasseries de la police. Je louai donc, séance tenante, à la condition expresse que le marché ne serait connu que de Ceccho, son fils et moi. Je viens ici fréquemment, mais par certains détours, et avec clos précautions que la solitude du lieu rend presque inutiles. Floria seule m'y accompagne. Qui donc s'aviserait de m'y chercher, et, surtout, d'y soupçonner votre présence?... D'ailleurs, quel rapport établir entre nous?... On ne nous a pas vus dans cette église. Nous ayons traversé la ville sans être reconnus, ni suives; vous n'avez rien à craindre. Enfin, mettons les choses au pis: On est sur vos traces... On vient... On cerne la maison... Je vous sauve encore...
Angelotti.—Comment?
Mario.—Dans cette ville, qui a conquis le monde, mais sur qui, le monde entier a pris la revanche de sa servitude... et que toutes les nations, à tour de rôle, ont assiégée et mise à sac; dans cette Rome des chrétiens et des barbares, des Nérons et des Borgias, de tous les persécuteurs et de toutes les victimes, il n'est pas, vous le savez, un vieux logis, qui n'ait son abri secret, contre le bourreau du dedans ou l'envahisseur du dehors... (Il se lève.) Et cette habitation a le sien, dont une tradition de famille m'a gardé le souvenir, (Il va à la porte-fenêtre de droite.) Voyez-vous, là-bas, en pleine clarté de lune, ces deux colonnes de marbre blanc?
Angelotti.—Reliées par une traverse munie d'une poulie? Un puits, si je ne me trompe?
Mario.—Un vieux puits romain, entouré de cyprès; seul reste de la villa primitive. Il était bien abandonné et comblé aux trois quarts, quand Luigi Cavaradossi, l'ayant fait curer, retrouva au fond une eau très pure, infiltration de la Marrana; mais, la vraie trouvaille, ce fut, à vingt pieds sous la margelle, dans la paroi qui nous fait face, la découverte d'une sorte de niche voûtée, si étroite à son orifice, que l'on n'y entre qu'en rampant, puis s'élargissant assez pour qu'un homme s'y tienne à l'aise, debout ou couché... Là, divers objets sans valeur: poteries, bronzes... et quelques monnaies antiques... A quel esclave fugitif, à quel proscrit le Marius ou de Scylla, à quel chrétien voué aux bêtes, ce réduit a-t-il servi d'asile?... Cavaradossi n'eut garde de le supprimer, et fit bien. Car, ayant poignardé un Medicis qui l'avait traité de bâtard, et s'efforçant de gagner à cheval la porte de Saint-Sébastien, il se vit serré de près par les archers pontificaux,... et n'eut que le temps de se jeter dans sa vigne, de courir au puits, d'en, saisir les cordes, de se laisser glisser jusqu'au réduit et de s'y blottir... Les archers fouillèrent vainement la maison, les jardins, et vinrent même puiser de l'eau pour leurs chevaux. Le puits est si étroit, tellement assombri par les vieux cyprès qui l'entourent, l'ouverture de la niche se dérobe si naturellement sous la traîne de longues herbes gluantes, que Cavaradossi, de sa retraite humide, écoutait paisiblement les malédictions et les menaces pleuvoir sur sa tête avec l'eau débordant des seaux trop pleins... Les archers partis, il put s'évader et fut sauvé. Cette vieille histoire et la tradition du refuge étaient si bien oubliées que je dus révéler son existence a Ceccho. Il est toujours là, comme suprême ressource, et j'ai tout disposé pour qu'en cas d'alerte il puisse encore sauver un Cavaradossi, ou—c'est tout un—l'un de ses amis!...
Angelotti.—C'est-à-dire un homme que vous ne connaissiez pas ce matin et pour qui vous vous dévouez en frère!
Mario.—Bah! J'ai l'humeur aventureuse, et ces choses-là m'amusent...
Angelotti.—Brave cœur, croyez-vous m'abuser sur le mérite de votre action en la traitant si légèrement?... C'est votre vie, tout bonnement, que vous jouez ici pour moi.
Mario.—On ne fait que cela tous les jours.
Angelotti.—Et qui?...
Mario.—Le premier venu qui, pour sauver un noyé, se jette à l'eau.
Angelotti.—Il n'expose que sa vie. Vous risquez l'échafaud.
Mario.—Avec ces raisonnements-là, on ne ferait rien de bon. Laissons cela, mon cher hôte, et ne parlons plus de mes périls, mais des vôtres.
Angelotti.—Les mêmes, à présent.
Mario.—Scarpia a mis tous ses sbires; en campagne, et il ne faut plus songer à sortir de la ville par les portes, qui vont être surveillées rigoureusement.
Etes-vous bon nageur?
Angelotti.—Excellent!
Mario.—Luigi Cavaradossi s'est enfui par le Tibre, à la nage, sous un paquet d'herbes qui semblaient suivre le courant. Pourquoi ne feriez-vous pas comme lui?
Angelotti.—La chose est praticable...
Mario.—Nous en recauserons, en soupant. En attendant, venez voir le puits, et vous familiariser avec la manœuvre. (Ils vont pour sortir par la droite. Angelotti passe le premier.) Chut!... (Angelotti, sur le seuil, s'arrête. Mario traverse la scène et va écouter à la porte du fond.) On vient de fermer une porte, là-bas, dont Floria seule a la clef.
Angelotti.—Alors, c'est elle?
Mario.—Oui!
Angelotti.—Cela vous inquiète?
Mario.—Un peu... A cette heure... Allez seul de ce côté, et tenez-vous dans le jardin... Je saurai d'abord ce qui l'amène et vous appellerai, s'il y a lieu.
Angelotti disparaît à droite dans le jardin. Mario remonte fond milieu.
Scène III
Floria entre brusquement par le fond, jardin, embrassant toute la scène d'un coup d'œil.
Mario, allant à elle, et lui prenant la main, tendrement.—Toi?
Floria, le regardant bien dans les yeux.—Moi!... Cela te gêne?
Mario.—Cela m'inquiète... Qui t'amène?
Floria, de même.—La curiosité... Je veux la voir!
Mario.—Qui?
Floria.—Ta maîtresse.
Mario, riant.—Eh! bon Dieu, tu m'as fait une peur!... C'est une scène de jalousie... Mais qui, ma maîtresse?
Floria, éclatant.—Ta drôlesse, ta marquise!...
Mario.—Ah! toujours la marquise!...
Floria, saisissant la robe.—Et ça?... Ce n'est pas
à elle, ça?... C'est à toi?... C'est à toi?...
Mario, allant à elle.—Allons, écoute-moi, et je t'expliquerai...
Floria, sans l'écouter.—Oui, elle posait encore?... Oh! mon Dieu, voilà tout!... Elle posait, l'innocente... et pour une sainte!... toute nue!...
Mario, même jeu, prenant ses deux mains.—Si tu permets...
Floria, se dégageant violemment d'une main, sans l'écouter, pour courir à la porte de gauche.—Vous êtes là!... Montrez-vous donc!... Vous êtes donc bien mal faite!...
Mario.—Floria, voyons...
Floria, jetant l'éventail par terre.—Tiens, jette-lui son éventail, à ta coquine!... qu'elle se cache un peu!
Mario.—Mais, tu es folle! faite! folle!
Floria, dégageant ses deux mains.—Oui, je suis folle, oui, d'aimer un être abject, fourbe, lâche, égoïste, ingrat... Un ruffian, qui va de cette créature à moi, de ses bras aux miens, lui arrive tout chaud de, mes caresses, et me revient avec de sales baisers qui ont le goût d'une autre!
Mario.—Mais deux mots seulement!...
Floria, désolée et finissant par pleurer.—Ah! misérable! misérable!... Et je l'adore!... Je ne vis que pour lui!... Je ne suis plus moi, je suis lui!... Je l'ai dans l'âme, dans le cœur, dans la chair, dans les veines!... La première effrontée me le vole, et je suis si lâche que je l'aime encore; et je sens que j'aurai beau le détester... je' l'aimerai toujours... Serai-je assez malheureuse...
Mario, doucement.—Voyons, est-ce fini?...
Floria.—Ah! canaglia?
Mario.—Veux-tu me permettre de placer un mot!... Un seulement...
Il prend une de ses mains, qu'elle abandonne, essuyant ses yeux avec l'autre.
Floria, amoureusement, sans lever la tête.—Ah! canaglia!...
Mario.—Eh bien, oui, cette robe est à la marquise.
Floria, bondissant, en larmes.—Ah! tu Vois bien!...
Mario, tranquillement, la faisant rasseoir.—Mais ce n'est pas elle qui l'a déposée là. C'est un malheureux à qui elle a servi de déguisement, un fugitif!...
Floria.—Son frère?
Mario.—Qui est là!
Floria.—Ah! ce n'est pas elle!... C'est Angelotti!... Son frère!... Son frère!... (Le prenant à bras le corps.) Ah! que je t'aime!
Mario.—A la bonne heure!
Floria, le couvrant de baisers.—Ah! mon amour, mon trésor, ma vie!... (S'arrêtant court.) Si tu mentais?
Mario.—Oh!
Floria, vivement, lui fermant la bouche.—Non, je te crois!...
Mario.—Tu peux le voir!...
Floria.—Non, non, non, je ne veux pas!
Mario, toujours assis.—Il est là-bas... Tiens, regarde.
Floria.—Mais puisque je te dis que je ne veux pas le voir!... Je veux te croire comme cela, sur parole!... sans preuves!... Pour que tu oublies mes folles idées, et sache bien qu'il n'en reste rien, rien, rien, que plus d'amour pour toi... (En tournant autour de lui, et sans en avoir l'air, elle regarde dans le jardin, tout en l'embrassant.) Oui, c'est vrai! Je le vois!
Mario, riant.—Ah! que c'est bien femme!... Et tu me pardonnes aussi, n'est-ce pas?...
Floria, avec conviction.—Oh! oui!
Mario, de même.—Toutes tes injures!... Merci!
Floria, tendrement, debout, l'entourant de ses bras, par derrière.—Non! non! C'est moi, qui te demande pardon!... Risquer ta vie pour le salut d'un autre, cela est si généreux à toi, et si bon... Ah! tu vaux-mieux que moi. C'est pour cela qu'il faut être indulgent... D'ailleurs, tu ne peux pas m'en vouloir d'être jalouse de mon bien et de t'aimer?... Car je t'aime trop... Ah! si tu m'aimais autant...
Mario.—Ah! bon!... Querelle-moi encore!
Floria, de même.—Oh! non!... Je suis trop heureuse!... (Silence.) Est-ce qu'il va rester ici, cet homme-là?...
Mario.—Angelotti?... Mais, toute la nuit, pour le moins. Nous tenterons la sortie de la ville au petit jour.
Floria.—Alors, je reste aussi, moi.
Mario, debout.—Ah! mais non!... Nous n'avons que faire de toi, dans cette aventure.
Floria.—Pourtant!...
Mario.—Non, non, tu vas retourner à cette fête.
Floria.—Ah! la fête!... Il est bien question de chanter!... Bonaparte est vainqueur...
Mario, ravi.—Vainqueur?...
Floria.—A Marengo!
Mario.—Ah! bravo!... Alors?...
Floria.—Alors, la marmite est renversée, tu penses!...
Mario.—Tu vas donc rentrer chez toi...
Floria.—Comme cela... tristement?
Mario.—Oui, oui, je le veux!... Ta voiture est là?
Floria.—Un peu plus loin. Je voulais te surprendre!
Mario.—Quelle imprudence!... La nuit, sur cette route déserte...
Floria.—Ambroise est armé!...
Mario.—Le fils de Ceccho t'accompagnera.
Floria.—Et quand te reverrai-je?
Mario.—Demain, après le départ d'Angelotti.
Floria.—Mon Dieu, si tu allais te faire prendre avec lui?
Mario, l'aidant à se rajuster.—Mais non, sois donc tranquille... Je ne tenterai rien que de sûr... Attends-moi dans la matinée, à la première heure.
Floria.—Oh! oui, je serai si inquiète!...
Mario, prenant l'éventail.—C'est donc cet éventail qui t'a mis cette folie en tête?...
Floria.—Il n'y avait pas de quoi, n'est-ce pas?
Mario.—Il était pour son frère, comme la robe.
Floria.—Comment le deviner?... Ne puis-je lui parler?
Mario.—A Angelotti?... Si tu veux... (Il se dirige vers le jardin, tout en parlant.) Il est là qui examine le puits en cas de surprise...
Floria.—Ah! oui.
Mario.—Tu es clone retournée à l'église, après mon, départ?
Floria.—Non.
Mario, s'arrêtant.—Non?... Eh bien, alors, comment l'éventail est-il dans tes mains?
Floria.—Ah! c'est... (Elle s'arrête, saisie par une pensée subite.) Ah!...
Mario.—Qu'as-tu?
Floria.—Ah! mon Dieu!... On le cherche?... La police?...
Mario.—Naturellement!
Floria.—Scarpia!
Mario.—Oui!
Floria.—Ah! je comprends: c'est un piège!
Mario.—Un piège?
Floria.—Ces soupçons sur toi... C'est lui!
Mario.—Scarpia?
Floria.—Il me lançait sur la piste, l'infâme!
Mario, effrayé.—Il t'a vu partir?...
Floria.—Il a dû me suivre!
Mario.—Ah! malheureuse!... Qu'as-tu fait!...
Floria.—Tais-toi! Ecoute...
Mario.—Des sons de voix...
Floria, épouvantée.—Les Voici!
Scène IV
Les mêmes, CECCHO, ANGELOTTI
Ceccho, accourant.—Excellence!... Des hommes!... On frappe en bas!
Mario.—Parlemente et gagne du temps! (Il court à la fenêtre.) Angelotti! (Angelotti paraît sur le seuil du jardin tandis que la Tosca écoute au fond.) Découverts!... Ils sont là!...
Angelotti.—Je gagne les champs et me jette dans les ruines.
Mario.—Trop tard, la maison est cernée!... Au refuge, vite! vite!
Angelotti.—Ah! je vous jure Dieu qu'ils ne m'auront pas vivant!
Il disparaît.
Mario, à Floria.—Ils viennent... Et du sang-froid!... si tu ne veux pas me perdre avec lui!
Floria.—Ah! Dieu, et c'est moi qui ai fait cela!...
On entend et l'on voit au fond les agents paraître de tous côtés dans, le jardin, gardant toutes les issues.
Scène V
FLORIA, MARIO, CECCHO, SCARPIA, LE MARQUIS ATTAVANTI, SCHIARRONE, Greffier, SPOLETTA, ALBERTI, Agents.
Scarpia entre par le fond, ainsi que le marquis, Schiarrone, Alberti et ses aides, et descend lentement.
Mario, allant à lui.—M'est-il permis de demander à monsieur le baron quel motif me vaut, à pareille heure, l'honneur de sa visite?
Scarpia, froidement.—Madame a dû vous en instruire.
Mario.—Madame—puisqu'il lui a plu de vous initier à ces détails intimes—avait conçu des soupçons dont elle vient de reconnaître la fausseté. Mais, ce sont là choses domestiques qui ne menacent pas la sécurité de l'Etat et où je ne pense pas que votre vigilance ait à s'exercer.
Scarpia.—Vous vous trompez. Je suis ici dans l'exercice de mes fonctions, Son Excellence (Il désigne le marquis.) m'ayant prié de constater l'outrage fait à son honneur par la présence, chez vous, à cette heure, de la marquise Attavanti, sa femme.
Mario.—Ah! c'est la raison?... Monsieur fait erreur... Madame la marquise n'est pas chez moi et n'a aucune raison d'y être... Et madame vient elle-même de constater cette absence.
Floria, vivement.—Oui!...
Attavanti, avec satisfaction.—Oh! si madame reconnaît?...
Floria.—Je l'atteste!
Attavanti.—Quand je vous le disais, baron?... Monsieur est incapable... Nous n'avons plus qu'à lui offrir nos excuses...
Scarpia.—Pardon, monsieur le marquis... Mais vous me permettrez de ne pas accorder tant de crédit aux affirmations intéressées de monsieur et complaisantes de madame.
Mario.—Mais, je vous répète, monsieur...
Scarpia, prenant l'éventail sur la table. Enfin monsieur, cet éventail entre vos mains?... Expliquez cela, je vous prie.
Mario.—Rien de plus simple. La marquise Attavanti daigne me faire l'honneur de poser pour l'un des personnages du tableau que je peins à Saint-Andréa: elle a oublié son éventail au départ, voilà tout.
Attavanti.—Eh! sans doute!... Cela s'explique...
Scarpia.—Et la preuve de ce que vous dites?
Mario.—Son portrait que tout le monde peut voir à Saint-Andréa, et l'absence même de la marquise, qui n'a pu s'enfuir, vos hommes gardant toutes les issues... Visitez cette maison, qui n'est pas grande... Si vous y trouvez la personne que vous cherchez, je ne propose pas à monsieur le marquis de lui faire raison, je l'invite à me passer son épée au travers du corps, sans autre forme de procès! Ouvre toutes les portes. Ceccho, éclaire ces messieurs!
Attavanti.—S'il n'y a jamais que moi pour vous tuer, jeune homme!... (Au baron.) Inutile, baron, parfaitement inutile, cet examen!
Scarpia.—En effet, monsieur n'ouvrirait pas ses portes à deux battants si la personne que nous cherchons était cachet derrière.
Attavanti.—Parbleu!... Je n'ai donc plus rien à faire ici, n'est-ce pas?
Scarpia, tranquillement.—Rien. Votre Excellence peut rentrer chez elle. Elle y trouvera sans doute la marquise qui n'a pas commis l'imprudence d'accompagner ici monsieur son frère.
Mouvement de tous.
Attavanti.—Son frère! Ici?
Scarpia.—Regardez monsieur, vous n'en douterez pas!
Mario, se remettant.—Moi, monsieur!... Je ne sais ce que vous voulez dire...
Scarpia.—Pardonnez-moi... Nous nous comprenons très bien... Mais ceci doit être l'objet d'un entretien particulier qui prolongerait péniblement la veille de monsieur. Son rôle est fini, le mien commence.
Attavanti.—Oui, je l'avoue... Mon beau-frère... J'aime mieux me dispenser...
Scarpia.—Si monsieur le marquis, en rentrant chez lui, va prendre des nouvelles de Sa Majesté...
Le Marquis.—Assurément.
Scarpia.—Votre Excellence peut lui annoncer que le fugitif est découvert et qu'il est pris... (Mouvement. Il regarde sa montre. Froidement.) Ce n'est plus qu'une question de minutes.
Attavanti.—Ma foi, baron, c'est une commission que vous ferez vous-même. C'est trop, déjà, de m'avoir imposé une démarche qui, de la part d'un mari, est du plus mauvais goût. (A Mario.) Chevalier, toutes mes excuses. (A Tosca.) Diva, je reste à vos pieds.
Scarpia, à Schiarrone, bas.—Par politesse, accompagnez jusqu'à sa voiture ce maître sot!...
Schiarrone sort avec le marquis.
Scène VI
Les mêmes, moins LE MARQUIS
Mario, vivement et bas à Tosca, tandis que Scarpia salue la sortie du marquis.—Pèse tous tes mots!
Floria, de même.—S'il ne sait rien que par moi!...
Scarpia, à Schiarrone qui a visité la maison pendant ce qui précède.—Vous avez visité toute la maison?
Schiarrone.—Oui, Excellence Personne.
Scarpia.—Et dans le jardin?
Schiarrone.—Personne.
Scarpia.—Il n'a pu s'évader. Tout est cerné. Il est donc ici, caché quelque part.
Schiarrone.—On peut visiter plus à fond... et sonder les murailles.
Scarpia.—Ridicule et trop long... Il est tard. Nous saurons plus vite ce que nous voulons savoir en priant monsieur de nous le dire.
Mario.—Moi!
Scarpia.—A l'instant.
Mario.—Je ne vous dirai jamais qu'une seule chose: c'est qu'Angelotti n'est pas chez moi.
Scarpia.—Vous verrez pourtant qu'il y sera. Mais il est inutile de prolonger la discussion. Entrez dans cette chambre où vous répondrez aux questions que vous posera M. le procureur fiscal.
Mario.—Et pourquoi pas ici?
Scarpia.—Parce que telle est ma volonté serait une raison suffisante. Mais je veux bien, vous en donner une autre: c'est que madame né doit pas assister à votre interrogatoire, ayant elle-même à subir le sien.
Mario, vivement.—Madame ne sait rien de plus que moi.
Scarpia.—Nous verrons bien... Allons, finissons... Conduisez monsieur dans cette chambre.
Mouvement des agents.
Mario,—Il est inutile d'user de violence. Que ces messieurs me suivent.
Il entre dans la chambre, à gauche, avec les agents.
Scène VII
Les mêmes, moins MARIO
Le Procureur fiscal.—Votre Excellence désire que j'interroge?...
Scarpia.—Dans les formes ordinaires. Vous suspendrez l'interrogatoire, ou le reprendrez, suivant les ordres que je vous donnerai de cette place, et qui vont dépendre des réponses de madame. Allez!
Le procureur sort avec le greffier.
Scène VIII
FLORIA, SCARPIA, SCHIARRONE, Soldats.
au fond, Deux agents à la porte de gauche avec SCHIARRONE.
Floria, assise près de la table à droite.—De mes réponses, à moi?...
Scarpia, venant à elle.—Mon Dieu, oui!...
Floria.—Et que puis-je répondre, sur des faits que j'ignore?...
Scarpia, souriant et très poli.—Causons amicalement, voulez-vous?... (Il avance un siège.) Et reprenons l'entretien où nous l'avons laissé au Palais Farnèse... Donc, cet éventail nous a trompés, et ces soupçons jaloux n'avaient aucune raison d'être?...
Floria, sèchement.—Vous le saviez bien!...
Scarpia.—J'ai fait erreur sur la personne, voilà tout... Le chevalier n'était pas ici avec la marquise, mais avec son frère.
Floria.—Ni l'un, ni l'autre. Il était seul.
Scarpia, railleur.—Tout de bon?
Floria.—Oui.
Scarpia, de même.—Vous affirmez?...
Floria, nerveusement.—Mais oui, j'affirme!... Oui, j'affirme! Oui!
Scarpia, froidement.—Oh! du calme, signera, je me le tiens pour dit!... (Se retournant sur sa chaise et, pans se lever, tranquillement.) Schiarrone?...
Schiarrone.—Excellence?
Scarpia.—Que dit le chevalier?
Schiarrone, sur le seuil de la porte de gauche qu'il tient entre-bâillée.—Rien, Excellence.
Scarpia.—Il persiste à nier la présence du sieur Angelotti?
Schiarrone.—Absolument.
Scarpia, haussant la voix pour être entendu de l'intérieur.—Alors, insistez, Roberti, insistez!...
Floria, vivement.—Votre insistance ne lui fera pas dire ce qui n'est pas!
Scarpia, de même.—Mon Dieu, il ne faut qu'un coup d'œil pour juger un homme: j'avais prévu l'obstination du chevalier. Mais j'espérais vous trouver plus raisonnable.
Floria.—Ne faut-il pas que je mente pour vous faire plaisir?
Scarpia, souriant.—Non!... Mais, en disant la vérité, vous épargneriez au chevalier un mauvais quart d'heure.
Floria. saisie.—Comment?... Que voulez-vous dire?... (Debout.) Que se passe-t-il donc dans cette chambre?...
Scarpia, de même.—Oh! rien que de très simple: on y interroge votre ami dans les formalités requises.
Floria, inquiète.—Je veux voir ce qui se passe là!...
Scarpia, l'arrêtant par le bras.—Je puis vous le dire: le chevalier est étendu dans un fauteuil, les bras et les mains liés, coiffé d'une griffe d'acier à trois pointes: une pour la nuque, deux pour les tempes.
Floria, terrifiée.—Oh!...
Scarpia, debout.—Et, à chaque refus de parler, la vis tourne... et la griffe mord!
Floria, tordant son bras pour se dégager.—Ah! maudits!... Arrêtez cela!... Arrêtez!...
Scarpia, la retenant.—Et VOUS parlerez?
Floria.—Oh! que l'on cesse donc!... Mais criez-leur donc de cesser, vous!... Criez-le donc!...
Scarpia.—Arrêtez! Roberti, et desserrez...
Floria.—Oh! encore! encore! encore!
Scarpia.—Encore, Roberti... Entièrement.
Schiarrone, sur le seuil.—C'est fait, Excellence.
Scarpia.—C'est fait!...
Floria.—Oh! lâches! lâches!... Je veux le voir!... (Schiarrone lui barrant le chemin.) Ouvrez-moi!...
Scarpia.—Fermez!...
Schiarrone ferme.
Floria, à Schiarrone qui lui barre le chemin, ainsi qu'un autre agent.—Laissez-moi, vous!... Laissez-moi! (Elle va se heurter à la porte fermée où elle frappe. Appelant.) Mario!... Réponds-moi!... M'entends-tu?... Mario!... Mais, parle-moi donc, réponds-moi donc!... Un mot! Un seul... que je ta sache vivant! (Silence.) Démons!... Ils l'ont tué!...
Scarpia, assis à droite, tranquillement.—Non... Laissez-lui le temps de se remettre...
Floria.—Mario!... Mon Mario!...
Mario, avec effort.—Floria!...
Floria.—Ah!...
Mario.—Ne crains rien!... J'ai bon courage!
Floria.—On ne te fait plus aucun mal, dis?... Je veux le savoir!... Dis-le-moi!...
Mario.—Non, pas en ce moment... Courage, ma chérie... courage!...
Floria.—Ah! cette voix!... Comme il souffre!... (Elle s'éloigne de la porte.) Ah! mon Dieu! mon Dieu!... Est-ce possible?... Le torturer ainsi, cet être doux et bon comme un enfant!... Ils sont là dix contre ce malheureux sans défense à chercher ce qui lui fera le plus de mal... Et ils ont trouvé cela!... cette atrocité... ces griffes d'acier dans les tempes... Quelle horreur!... Et celui-là sourit, tenez... et se pourléche de sang humain!... Il est content de Lui, ce tigre!...
Scarpia, souriant.—Point, ma chère!... C'est de vous que je suis ravi!... Par ma foi, vous êtes aussi tragique dans l'intimité que sur la scène... Mes compliments!... Mais revenons aux choses sérieuses... Vous l'avez entendu?... «J'ai bon courage.» C'est-à-dire: on ne m'arrachera pas un mot.
Floria.—Ah! vous lui arracherez plutôt l'âme!
Scarpia.—J'en suis sûr!
Floria.—Eh bien, alors, délivrez-le!... Rendez-le-moi!... Puisqu'il ne dira rien, c'est fini, n'est-ce pas?...
Scarpia.—Fini?... Nous commençons à peine.
Floria, suffoquée.—A...?
Scarpia.—A le questionner.
Floria.—Le torturer encore?... Et pour ne rien savoir?
Scarpia.—Erreur!... Je saurai tout: c'est lui que l'on interrogera, c'est vous qui répondrez!
Floria.—Moi?
Scarpia.—Vous!... Et prenez garde que tout refus de parler est un tour de vis que vous donnez à son étau...
Floria.—Oh! bourreau!
Scarpia.—Ce n'est plus moi, le bourreau, c'est vous, si vous refusez de me répondre... (Très haut.) Allons, Roberti, tenez-vous prêt!... Nous recommençons!...
Schiarrone entre-bâille la porte et se tient prêt a transmettre les ordres.
Floria.—Assassin!... (Mouvement de Scarpia. Elle se reprend.) Non!... Pardon, grâce, pitié, Excellence, pas cela!... C'est horrible... pas cela!
Scarpia.—Alors, où est Angelotti?...
Floria.—Mais je ne sais pas!... Je n'en sais rien!... Comment le saurais-je?... (Scarpia lève la main. Mouvement de Schiarrone. Elle bondit et rabat la main.) Non!... Attendez!... Ah! mon Dieu!... Attendez donc!... Perdre l'un pour sauver l'autre, c'est effroyable aussi!... Donnez-moi le temps... On ne lui fait rien, n'est-ce pas?... Vous en êtes sûr?
Scarpia.—Non!... J'attends... mais dépêchons!... Répondez.
Floria.—Mais quoi?... Que faut-il que je réponde?... Je ne sais pas moi!... Dites-moi ce qu'il faut dire... Ah! seigneur, pourvu, qu'on lie lui fasse rien, je dirai bien tout ce qu'on voudra!...
Scarpia.—Soit!... Il y avait un homme ici à votre armée?
Floria.—Non!... (Mouvement de Scarpia) Si! Si!... Attendez!... Laissez-moi chercher, au moins!... Un homme?... Je ne sais plus... (Même jeu) Oui, oui! je crois! Je crois!... (A Schiarrone) Mais, puisque je réponds pour lui, ferme donc ta porte, toi, damné!
Scarpia.—Et cet homme est Angelotti?
Floria.—Oh! pour cela, non! par exemple!...
Scarpia, railleur.—C'est-à-dire: *si*.
Floria.—Non! Je vous dis: *non*!
Scarpia, de même.—Si énergiquement que c'est oui!
Floria.—Ah! quand tu régleras tes comptes avec Dieu, toi, sois tranquille, va, je serai là... Et puis, d'ailleurs, est-ce que je sais, moi... Est-ce que je le connais, votre Angelotti?...
Scarpia.—Enfin, cet homme, quel qu'il soit, où est-il?
Floria.—Ah! vous pouvez bien courir après lui... Il est loin!
Scarpia.—Non!... Tout est cerné...
Floria.—Alors, si vous démentez tout ce que je dis... (Epouvantée) Un cri!... On recommence!...
Scarpia.—Non!
Floria.—Si! Si!... J'ai entendu!...
Elle écoute
Scarpia.—Rien, vous dis-je!... Eh bien, Schiarrone?...
Schiarrone.—Evanoui.
Scarpia.—Vous voyez bien?... Continuons... Cet homme est donc caché, quelque part, ici-même, peut-être?...
Floria, préoccupée de la porte.—Plût au ciel qu'il fût là!... Il ne vous laisserait pas broyer vif son sauveur!
Scarpia.—Il est donc son sauveur?
Floria, saisie—Non!
Scarpia.—Vous venez de le dire!
Floria.—Ah! ce que je dis!... Vous me forcez à parler, il faut bien que je dise n'importe quoi... ce qui me passe par la tête!...
Même jeu d'attention vers la chambre.
Scarpia.—Bref, il est caché!... (Mouvement de Floria pour protester. Menaçant.) Où, caché?... Allons, finissons!...
Floria.—Je ne sais pas!...
Scarpia, vers la porte.—Allez, Roberti!...
Floria, épouvantée.—Non!... Je sais!... Il est.
Scarpia.—Il est...?
Floria, qui, dans son premier mouvement, suivi de tous, a presque désigné le jardin, s'arrête court, désolée.—Mais c'est trop affreux!... Je ne peux pourtant pas livrer ce malheureux pour qu'on le tue!...
Scarpia.—Il est...?
Floria, fondant en larmes.—Mais je ne peux pas le dire!... Je ne peux pas!... Vous voyez bien que je ne peux pas...
Elle tombe assise. Silence.
Scarpia, à son oreille, doucement.—Allons, courage... et votre amant est libre!
Floria, sanglotant.—Ah! Dieu!... Il ne me pardonnera jamais cela... jamais!
Scarpia.—Tout bas... et il n'en saura rien?... Allons?...
Floria, sans voix.—Je veux lui parler d'abord...
Scarpia.—A quoi bon?
Floria.—Tout ce qu'on voudra après, mais, que je le voie, que je lui parle!... Je vous en prie!
Scarpia.—Suspendez un instant, Roberti. (A Schiarrone.) Ouvrez la porte!... Le chevalier, encore évanoui?
Schiarrone.—Non!
On ouvre la porte toute grande. Schiarrone et les agents devant pour la garder. Scarpia au milieu de la scène. Floria à sa droite. Silence d'une seconde. Floria essuie son front et veut s'avancer.
Scarpia, l'arrêtant.—Oh! Pardon!... De cette place seulement.
Floria.—Mario, mon Mario! Tu m'entends, n'est-ce pas?...
Mario, péniblement.—Oui!
Floria.—Tu vois, mon Mario adoré!... Tu es a bout de forces... Moi aussi, je t'assure!... N'est-ce pas, que tu veux bien?... Dis que tu veux bien que je parle?...
Mario.—Et, que dirais-tu, malheureuse?... Tu ne sais rien!...
Floria, suppliant.—Mon Mario!...
Mario, avec force.—Tu ne sais rien!
Floria, vivement, les mains tendues vers lui.—Je ne peux pourtant pas te laisser déchirer ainsi!... Ma chair crie avec la tienne!... Mon amour, je t'en prie, à genoux!... Mon Mario bien-aimé, dis... dis que tu veux bien!...
Mario, énergiquement.—Non! Non!... Tu n'as rien à dire!... Et je te défends, entends-tu!... Je te défends!...
Floria, désespérée.—Mais, ils te tueront!...
Mario.—Je te défends!...
Scarpia, terrible.—Allez! Et n'arrêtez plus!
Floria, bondissant à ses pieds.—Non! Je parlerai!
Mario.—Tais-toi... ou je te maudis!...
Floria.—Ah! Dieu!...
Scarpia.—Allez toujours!...
Floria, se cramponnant à lui, à genoux.—Non!... Arrêtez!...
Scarpia, à Floria.—Où est cet homme?...
Mario, poussant un cri de douleur.—Ah!...
Floria, répétant le cri.—Ah!... Tant pis pour l'autre!... Je dis tout!...
Scarpia, à Schiarrone.—Suspens!
Floria, désignant le jardin.—Là!...
Scarpia.—Le jardin?
Floria.—Le puits!...
Scarpia.—Le puits!...
Les agents s'élancent dans le jardin, par la droite. Les soldats, au fond, font le même mouvement dans les arbres.
Floria, debout.—Mon Mario, à présent!... Bandits, rendez-le-moi!
Elle court vers la chambre dont on lui barre le passage.
Scarpia.—C'est fait! déliez l'autre.
Il se tourne vers le jardin, regardant.
Scène IX
Les mêmes, MARIO, puis COLOMETTI
Mario paraît sur le seuil, livide, égaré, effaré, se tenant à montant de la porte. Il a deux taches rouges aux tempes. Floria court a lui, le soutient et l'entraîne jusqu'au siège où il tombe muet et hagard.
Floria, essuyant son front et le couvrant de baisers.—Ah! mon amour, ma vie!... Mon ange, mort héros!...
Mario, rouvrant les yeux, après un temps, et péniblement, comme un homme ivre.—Ah! que cela fait mal!... Tu n'a rien dit, n'est-ce pas?... Ni moi?...
Floria.—Non! non!... tu n'as rien dit!... Rien!
Il retombe épuisé. Silence. Elle pleure en baisant ses mains. Colometti reparaît sur le seuil.
Scarpia.—Eh bien?
Colometti.—Mous l'avons.
Scarpia.—Enfin!
Colometti.—Mort.
Scarpia.—Mort?... Le poison?...
Colometti.—Sans doute.
Les agents déposent le corps d'Angelotti dans le jardin, près du seuil, en vue, éclairé par la lune. Mario rouvre les yeux. Floria se place; de façon à lui cacher Angelotti.
Mario.—Mort?... (A Floria.) Qui est mort?... Je veux voir!... (Même jeu de Floria. Il se redresse.) Laisse-moi!... (Il l'écarte et aperçoit le corps.) Lui?... (Debout.) Ah! malheureuse!
Floria.—Mario!...
Mario.—Ne me touche pas! Va-t'en!... Je te hais!... C'est toi! toi qui l'as tue!...
Floria, à genou.—Pour te sauver!...
Mario.—Oh!...
Scarpia, aux agents.—Allons, Schiarrone, finissons!... Enlevez tout!... Le mort, pour le fumier, et le vivant, son complice.
Floria, terrifiée.—Lui?...
On entoure Mario et on l'entraîne.
Scarpia.—Pour la potence!...
Floria veut parler, elle le regarde, effarées sans trouver un mot, ni un cri et tombe comme foudroyée.
Schiarrone.—Et la femme?...
Scarpia.—La femme aussi!...
*Une chambre au château Saint-Ange. A gauche, pan coupé. Alcôve richement décorée. Le lit au fond. Pan coupé, droite, large fenêtre avec bacon praticable. Au fond, milieu, porte d'entrée, premier plan droite, secrétaire ouvert. Premier plan gauche, console surmontée d'une glace. Au pied du lit, dans l'alcôve, un prie-Dieu, avec crucifix d'ivoire.; Au milieu, vers la gauche, une table couverte de sa nappe, et sur laquelle est servi un souper. Un canapé à droite de la table au milieu de la, scène. Il faut encore nuit, et la pièce n'est éclairée que par deux candélabres allumés placés sur console, et une lampe avec abat-jour sur la table. Au lever du rideau, la fenêtre est fermée. Un maître d'hôtel et un laquais font le service. Scarpia soupe, assis entre la table et la console, à laquelle il tourne le dos.*
Scène première
SCARPIA, SCHIARRONE, Un maître d'hôtel, un laquais, COLOMETTI
Scarpia.—Ouvrez la fenêtre, Colometti. L'air de cette chambre est étouffant. (Colometti ouvre la fenêtre à droite toute grande.) Quelle heure est-il?... Schiarrone.
Schiarrone.—Excellence, on a chanté les matines.
Scarpia.—La ville me paraît fort calme.
Schiarrone.—Très calme, Excellence... M. le gouverneur a fait doubler les postes; et toute la garnison est sous les armes.
Scarpia.—Précautions inutiles. Cette victoire des Français a moins échauffé les têtes romaines que je ne l'aurais cru.
Schiarrone.—Plus d'étonnement que de joie, Excellence. Voilà, je crois le sentiment général.
Scarpia.—Le prisonnier est en chapelle?
Schiarrone.—Oui, Excellence, avec les moines blancs de la mort. Mais, à leurs saintes exhortations, pour qu'il se recommande à la miséricorde divine, il se borne à répondre qu'il n'a aucun pardon à demander à Dieu, n'ayant fait que son devoir d'honnête homme qui est de venir en aide à toute victime de la tyrannie.
Scarpia, découpant et se servant.—Voilà bien de mon jacobin!
Schiarrone.—...Et que si quelqu'un est coupable en cette affaire, ce n'est pas lui envers le ciel, mais le ciel envers lui.
Scarpia.—Affreux blasphème!... Et alors?
Schiarrone.—Alors les blancs se sont lassés de tant d'impiété, et l'ont laissé en repos... Il en a profité pour s'endormir.
Scarpia.—Belle préparation à la mort, et digne d'un chrétien!
Scène II
Les mêmes, SPOLETTA
Scarpia.—Eh bien, capitaine, M. le gouverneur?...
Spoletta.—Excellence, monseigneur rentrait à l'instant ayant passé la nuit au Palais Farnèse, où l'avait retenu l'indisposition de Sa Majesté. Il a paru fort satisfait de l'arrestation d'Angelotti, et m'a remis cet ordre écrit de sa main.
Scarpia, lisant.—*Le chevalier Mario Cavaradossi devra être exécuté avant le lever du soleil*. (il dépose l'acte sur la table.) J'ai réfléchi. Angelotti étant condamné à la potence a décidément droit à sa potence. Il est inutile de faire savoir qu'il nous a échappé par le poison, et que nous ne pendons qu'un cadavre. Ces morts volontaires sont d'un détestable exemple. Le criminel ne doit pas se dérober au châtiment. Donc, pour tous, Angelotti sera mort de la main du bourreau. La potence est prête?
Schiarrone.—On la dresse en ce moment, sous cette fenêtre, à la tête du pont.
Scarpia.—Vous laisserez le corps en vue jusqu'à l'heure de la grand'messe. Après quoi, vous le jetterez dans une fosse quelconque; et pas en terre sainte. Un suicidé n'a pas droit à la sépulture chrétienne, pas même à une croix sur sa tombe. Il boit.
Spoletta.—Il sera fait ainsi Excellence. Et l'autre?
Scarpia.—Pour le Cavaradossi, nous verrons. Où est la femme?
Spoletta.—Dans la chambre où Votre Excellence a donné ordre qu'on l'enfermât.
Scarpia, le verre à la main.—Et furieuse, toujours?...
Schiarrone.—Plus calme. Elle s'est fort inquiétée du chevalier d'abord; puis du lieu où elle se voyait transportée. Nous n'avons pas cru devoir le lui dire, n'ayant pas d'instructions à cet égard.
Scarpia, à Schiarrone.—Introduisez ici la Tosca... (Schiarrone sort. A Spoletta.) Vous, Spoletta, veillez à la pendaison du mort. La chose faite, je vous appellerai de cette fenêtre. Allez... (Aux laquais, se levant a la vue de la Tosca introduite par Schiarrone.) Et qu'on me laisse...
Le maître d'hôtel salue; le laquais emporte le plateau posé sur la console.
Scène III
Elle entre silencieusement, pâle, et regarde autour d'elle, appuyée sur le dossier du canapé.
Scarpia, après un temps.—Vous voulez savoir où vous êtes, Tosca. Vous êtes, ainsi que le chevalier Cavaradossi, au château Saint-Ange, chez moi... Maintenant, j'estime qu'après une telle nuit vous êtes à bout de forces. Laissez-moi vous faire les honneurs de ce triste logis, et prenez votre part d'un souper qui serait meilleur, si j'avais prévu que je vous aurais cette nuit pour convive. (Floria, sans le regarder, fait un geste de refus méprisant. Il reprend, souriant.) Bon... N'allez pas rêver poison... Ce sont là mœurs d'un autre âge. Nous n'usons plus du poison.
Floria, sourdement.—Mais vous égorgez toujours!
Scarpia, froidement—Rarement, et les meurtrières seuls... Pour les rebelles et leurs complices, je les fais plus volontiers fusiller, ou pendre, à mon choix. (Mouvement de Floria.) Ce mot vous étonne... Vous êtes-vous figurée que le chevalier serait mis en jugement?
Floria, anxieuse.—Il ne sera plus jugé?...
Scarpia, souriant toujours.—Quelle folie... Un interrogatoire, des témoins et des plaidoiries!... Nous avons bien le temps de nous amuser à ces bagatelles!... Sa Majesté Catholique a simplifié la procédure... Venez ici, et voyez à la lueur des falots ces gens s'agiter là-bas à la tête du pont. Ils dressent un gibet à deux branches. A l'une ils accrocheront un mort: Angelotti... A l'autre, un vivant!...
Floria, épouvantée.—Mario?
Scarpia.—Vous l'avez dit!... Et il ne tiendrait qu'à moi d'embellir ce groupe en vous y associant. Mais à Dieu ne plaise que je prive les Romains de leur idole,—qui est aussi la mienne. Votre voiture est en bas qui vous attend. Toutes les portes du château vous sont ouvertes. Vous pouvez sortir, vous êtes libre!
Floria, avec un cri de joie.—Ah!
Elle s'élance vers la porte.
Scarpia.—Attendez!... (Elle s'arrête.) Le vrai sens de ce cri, je le devine. Ce n'est pas la joie de votre salut!... Mais cette pensée: «Je cours au Palais Farnèse, je force la porte de la reine, et je lui arrache la grâce de mon amant!» N'est-ce pas cela?
Floria.—Oui, c'est cela!
Scarpia, prenant l'ordre sur la table.—Malheureusement, l'order est formel. Le chevalier doit être exécuté avant le lever du soleil. Quand sa grâce m'arrivera, il sera pendu depuis une heure.
Floria.—Tu ferais cela?
Scarpia.—Ah! de bonne foi, ma chère... Je vous tiens quitte de votre peine; mais, de la sienne, non pas!
Floria.—Mais alors... alors... misérable!... Tu n'es même plus le bourreau... Tu es l'assassin!...
Scarpia.—Peut-être!... Cela dépend... Mais voyons... prenez place, je vous en prie, et acceptez au moins ce verre de vin d'Espagne. (Il le verse.) Nous causerons ainsi plus à l'aise du chevalier Cavaradossi, et de la meilleure façon de le tirer de ce mauvais pas.
Floria.—Je n'ai soif et faim que de sa liberté! Allons, au fait!... (Elle s'assied résolument en face de lui à la table, écartant le verre.) Combien?
Scarpia, se versant à boire.—Combien?
Floria.—Oui!... Question d'argent, je suppose?
Scarpia.—Fi donc, Tosca, vous me connaissez bien mal... Vous m'avez vu, féroce, implacable, dans l'exercice de mes devoirs; c'est qu'il y allait de mon honneur et de mon propre salut, la fuite d'Angelotti entraînant forcément ma disgrâce... Mais, le devoir accompli, je suis comme le soldat qui dépose sa colère avec ses armes; et vous n'ayez plus ici devant vous que le baron Scarpia, votre applaudisseur ordinaire, dont l'admiration va pour vous jusqu'au fanatisme... et même a pris cette nuit un caractère nouveau... Oui, jusqu'ici, je n'avais su voir en vous que l'interprète exquise de Cimarosa ou de Paisiello... Cette lutte m'a révélé la femme... La femme plus tragique, plus passionnée que l'artiste elle même, et cent fois plus admirable dans la réalité de l'amour et de ses douleurs que dans leur fiction! Ah! Tosca, vous avez trouvé là des accents, des cris, des gestes, des attitudes... Non, c'était prodigieux, et j'en étais ébloui au point d'oublier mon propre rôle, dans cette tragédie, pour vous acclamer en simple spectateur, et me déclarer vaincu!...
Floria, toujours inquiète, à mi-voix.—Plût à Dieu!
Scarpia.—Mais savez-vous ce qui m'a retenu de le faire... C'est qu'avec cet enthousiasme pour la femme affolante, grisante, que vous êtes, et si différente de toutes celles qui ont été miennes... une jalousie... une jalousie subite me mordait le cœur... Eh! quoi, ces colères et ces larmes au profit de ce chevalier qui, entre nous, ne justifie guère tant de passion? Ah! fi donc! Plus vous me conjuriez pour lui, plus je me fortifiais dans la volonté tenace de le garder en mon pouvoir, pour lui faire expier tant d'amour et l'en punir, oui, ma foi, l'en punir! Je lui veux tant de mal de son bonheur immérité. Je lui envie à ce point la possession d'une créature telle que vous,—que je ne saurais la lui pardonner qu'a une condition... C'est d'en avoir ma part.
Floria, debout, bondissant.—Toi!...
Scarpia, assis, la retenant par le bras.—Et je l'aurai!...
Floria, elle se dégage violemment, en éclatant de rire.—Imbécile!... J'aimerais mieux sauter par cette fenêtre!...
Scarpia, froidement, sans bouger.—Fais... Ton amant te suit!... Dis: «Oui, je le sauve... Non: je le tue!»
Floria, le regardant, épouvantée.—Ah! cynique scélérat! Cet horrible marché!... Et par l'épouvante et la force!...
Scarpia.—Bon, ma chère où prenez-vous la violence? Si le marché ne vous va pas, allez-vous-en, la porte est libre... Mais je vous en défie... Vous allez crier, m'insulter, invoquer la Vierge et les saints... Perdre le temps en paroles inutiles... Après quoi, n'ayant pas mieux à faire, vous direz: *oui*...
Floria.—Jamais... Je vais réveiller toute la ville et lui crier ton infamie.
Scarpia, de même, froidement, buvant une gorgée.—Cela ne réveillera pas le mort!... (Floria s'arrête court avec un geste de désespoir. Il reprend, souriant.) Tu me hais bien, n'est-ce pas?
Floria.—Ah! Dieu!
Scarpia, de même.—A la bonne heure!... Voilà comme je t'aime!... (Il repose sa coupe sur la table.) Une femme qui se donne, la belle affaire... J'en suis rassasié, de celles-là!... Mais ton mépris et ta colère à humilier... ta résistance à briser et à tordre dans mes bras!... Pardieu, c'est la saveur de la chose, et ta résignation me gâterait la fête!...
Floria.—Oh! démon!
Scarpia.—Démon, soit!... Comme tel, ce qui me charme, créature hautaine, c'est que tu sois à moi... avec rage et douleur! que je sente bien ton âme indignée se débattre... ton corps révolté frémir de son abandon forcé à mes détestables caresses, et de toute ta chair, esclave de la mienne! Quelle revanche de ton mépris, quelle vengeance de tes insultes, quel raffinement de volupté, que mon plaisir soit aussi ton supplice... Ah! tu me hais!... Moi, je te veux, et je me promets une diabolique joie de l'accouplement de mon désir et de ta haine!
Floria.—De quel accouplement pareil es-tu né, bête fauve, ce n'est pas une mamelle de femme qui t'a nourri de son lait!
Scarpia.—Va! va!... Poursuis!... Insulte-moi... Tu ne saurais trop... crache-moi tes mépris à la face, mords et déchire... Tout cela fouette mes désirs et ne les rend que plus avides de toi!...
Floria, se dérobant, épouvantée.—Ne m'approche pas! A l'aide, au secours... à moi!...
Scarpia.—Personne ne viendra!... Et tu perds le temps en cris inutiles!... Vois, l'horizon s'éclaire, et ton Mario n'a plus un quart d'heure à vivre!
Floria.—Ah! Dieu bon, Dieu grand, Dieu sauveur! Qu'il y ait un tel homme! et que tu le laisses faire! Tu ne le vois donc pas? Tu ne l'entends donc pas?
Scarpia, railleur.—Si tu ne comptes que sur lui!... Angelotti est à son gibet. (Elle recule effrayée.) Et c'est le tour de l'autre!... (Criant.) Spoletta!
Floria, s'élançant vers la fenêtre.—Non!... Non!... Sauvez-le!...
Scarpia.—Tu consens?...
Floria, glissant à reculons dans ses bras et tombant à ses pieds.—Pitié!... Grâce!... Ah! mon Dieu!... Vous êtes bien assez vengé!... pourtant!... Je suis assez punie, humiliée!... Je suis à vos pieds!... Je vous supplie... Je vous demande pardon... humblement pardon... de tout ce que j'ai dit!... humblement!... Grâce!... Grâce!...
Scarpia.—Allons, c'est convenu, n'est-ce pas?...
Il la relève en la serrant contre lui.
Floria, se dégageant avec un cri de dégoût.—Ah! non!... Non!... Je ne veux pas!... Je ne pourrais pas!... Je ne veux pas!...
Scène IV
Les mêmes, SPOLETTA, sur le seuil.
Soldats, derrière, dans l'antichambre.
Spoletta.—Dois-je aller prendre Cavaradossi?
Floria.—Oh! non! non!
Scarpia.—Attendez!... (Il vient à Floria, cramponnée au dossier du canapé.)—Tu as une minute pour te décide!
Floria, épuisée cramponnée au dossier du canapé.—C'est fini!... Tout est contre moi!... C'est fini!...
Scarpia, à son oreille.—Allons!...
Silence.
Floria, après un temps, avec effort, honteusement.—Oui!...
Elle fond en larmes, la face sur le dossier du canapé.
Scarpia, remontant.—Capitaine... j'ai changé d'avis... Le bourreau peut aller dormir. Nous ne pendrons pas le chevalier, qu'on le laisse en chapelle.
Spoletta se retourne vers les hommes qui l'accompagnaient, et qui, sur un mot de lui, se retirent. Il reste seul en vue.
Floria, bas, à Scarpia.—Je le veux libre, libre à instant.
Scarpia, de même.—Doucement, Tosca!... Il y faut plus de mystère!... Voici l'ordre du prince auquel je dois obéir. (Il présente le papier.)—Je n'ai que le choix du supplice; nous en profiterons... Mais pour tous, sauf pour cet homme qui m'est dévoué, le chevalier doit passer pour mort!...
Floria.—Et qui m'assure qu'après... vous le sauverez?...
Scarpia.—L'ordre que je vais donner ici, vous présente!... (A Spoletta.) Spoletta! fermez-cette porte... (Spoletta obéit.) Ecoutez bien!... Nous ne pendons plus le chevalier, nous le fusillons... (Mouvement de Floria qu'il arrête du geste.) sur la plate-forme du château, comme nous avons fusillé le comte Palmieri...
Spoletta.—Alors, Excellence, une exécution?...
Scarpia.—Simulée... Exactement comme vous avez fait pour Palmieri!
Spoletta.—Parfaitement, Excellence.
Scarpia.—Vous; prendrez douze hommes de votre compagnie dont vous chargerez les fusils vous-même... à poudre seulement, avec le plus grand soin...
Spoletta.—Oui, Excellence.
Scarpia.—Le chevalier, bien averti du rôle qu'il doit jouer, sera conduit sur la plate-forme, sans autres témoins que vous et vos hommes. Aux coups de feu, il tombera comme foudroyé... Vous ferez même constater qu'il est mort, et que le coup de grâce est inutile, et vous renverrez vos hommes. Après quoi, un manteau sur l'épaule, un chapeau sur les yeux, il sera conduit par vous hors du château, jusqu'à la voiture de madame, qui l'y attendra. Vous y prendrez place avec le chevalier, la voiture vous conduira jusqu'à la porte Angélique, que vous vous ferez ouvrir, par mon ordre, et quand la voiture aura franchi les murs sans accident, alors seulement, vous la laisserez suivre son chemin, et irez vous reposer... Le reste me regarde. Vous m'avez bien compris?
Spoletta.—Oui, Excellence!
Scarpia.—Les fusils?...
Spoletta.—Je les chargerai moi-même. Dois-je procéder immédiatement?...
Scarpia.—Non pas! Laissez le chevalier en chapelle et attendez.
Floria, à mi-voix.—Je veux le voir, et lui dire moi-même ce qui est convenu.
Scarpia.—Très bien!... (A Spoletta..) Madame est libre. Elle peut, circuler dans le château et en sortir à son gré. Postez un homme au bas de l'escalier. Il conduira madame à la chapelle. C'est seulement après son entretien avec Cavaradossi et tandis qu'elle regagnera sa voiture, que vous procéderez à l'exécution comme; je l'ai dit...
Spoletta.—C'est entendu, Excellence.
Scarpia.—Allez... N'oubliez rien, et qu'on me laisse seul jusqu'à ce que j'appelle.
Spoletta salue et sort, fermant la porte dont Scarpia tire le verrou.
Scène V
Au bruit de la porte fermée et du verrou tiré, Floria tressaille et se lève en chancelant.
Scarpia, redescendant.—Est-ce bien cela?
Floria, faiblement et toute tremblante.—Non!...
Scarpia.—Quoi de plus?...
Floria, de même, avec effort.—Je veux un sauf-conduit qui, après la sortie de Rome, m'assure celle des Etats romains...
Scarpia.—C'est juste!... (Il va au secrétaire où il écrit debout. Floria gagne la table où elle prend d'une main tremblante le verre de vin d'Espagne, versé par Scarpia. Dans ce mouvement, et quand elle a déjà porté le verre à ses lèvres, elle aperçoit sur la table le couteau à découper à lame pointue, s'arrête, jette un coup d'œil à Scarpia qui lui tourne le dos en écrivant, et, attentive à ne pas être surprise dans ses mouvements, repose le verre lentement, attire le couteau à sa portée. Scarpia lisant tout haut ce qu'il vient d'écrire.) *Ordre à tous de laisser sortir librement de la ville de Rome et des Etats romains la signora Tosca et le cavalier qui l'accompagne.—Vitellio Scarpia, régent de la police romaine.* (Il revient à elle. Elle a repris le verre qu'elle vide d'un trait.) Etes-vous satisfaite?
Il lui passe le papier qu'elle lit debout, lui étant derrière elle, et tout près d'elle.
Floria, après avoir feint de lire, reposant le verre, ce qui rapproche sa main du couteau.—Oui... C'est bien.
Scarpia.—Alors... ce qui m'est dû!...
Il l'enlace d'un bras, et baise ardemment son épaule nue.
Floria.—Le voilà!...
Elle lui plonge le couteau dans le cœur.
Scarpia.—Ah! maudite!
Il tombe sur le canapé.
Floria, avec une joie et un rire féroces.—Enfin!... C'est fait!... Enfin!... Enfin!... Ah! c'est fait!...
Scarpia.—A moi!... Je suis mort!...
Floria.—J'y compte bien! Ah! bourreau! Tu m'auras torturée pendant toute une nuit, et je n'aurais pas mon tour?... (Elle se penche sur lui, les yeux dans les yeux.) Regarde-moi bien, bandit!... me repaître de ton agonie, et meurs de la main d'une femme, lâche! Meurs, bête féroce, meurs désespéré, enragé! Meurs!... Meurs!... Meurs!...
Scarpia, sur le meuble et reprend le couteau. Ils se regardent ainsi dossier du canapé, et d'une voix étouffée.—Au Secours!... A moi!...
Floria. remontant vers la porte où elle écoute.—Crie! Le sang t'étouffe! On ne t'entendra pas!... (Scarpia, par un dernier effort, se redresse presque debout. Elle bondit sur le meuble et reprend le couteau. Ils se regardent ainsi une seconde, lui suffoquant, elle menaçante. Après un effort inutile, il retombe sur le canapé de dos, en poussant un gémissement sourd, et de là glisse à terre. Elle repose le couteau sur le meuble, froidement.) A la bonne heure!... (Elle fait glisser le flambeau pour éclairer son visage. Il expire.) A présent, je te tiens quitte! (Sans le quitter des yeux, elle essuie ses doigts à la nappe, au bord extrême de la table. Puis, au bout de cette table, prend une carafe et mouille une serviette avec laquelle elle essuie une tache de sang sur sa robe; tord la serviette et la jette du côté de l'alcôve. Elle tourne la table et va à la glace qui est sur la console, là elle prend un des flambeaux à une seule bougie qui est sur la console et rajuste ses cheveux devant la glace.) Et c'est devant ça que tremblait toute une ville! (Roulement de tambour lointain. Trompettes battant la diane. Tressaillant.) La diane!... Le jour!... déjà?...
Elle remonte entre la table et le mort et souffle le candélabre à sa portée. Elle prend sur la table le sauf-conduit qu'elle glisse dans son sein. Elle tend l'oreille vers la porte du fond. Elle va sortir, puis, aperçoit la bougie allumée, va pour l'éteindre et se ravise. Elle rallume l'autre flambeau, les place à terre, l'un à gauche, l'autre à droite du mort, cherche autour d'elle, aperçoit le crucifix dans l'alcôve, le décroche, le pose sur la poitrine de Scarpia. Puis se relève et gagne la porte du fond qu'elle ouvre doucement; le vestibule est noir. Elle écoute et sort, refermant la porte sur elle au moment où les tambours de la citadelle battent à leur tour.
*La chapelle des condamnés à mort au château Saint-Ange. Fenêtre grillée au fond. Rétable à droite. Porte à gauche.*
Scène première
MARIO, endormi, Un guichetier, un aide, deux carabiniers, SPOLETTA
Un sergent entre et descend vers Mario.
Spoletta, secouant doucement Mario pour le réveiller.—Chevalier!... Chevalier!...
Mario, se réveillant en sursaut.—Hein?... Plaît-il?... Ah! c'est vous, capitaine! Je dormais si bien... Le moment est-il venu?... Et ne me réveillez-vous d'un si bon sommeil que pour m'en faire connaître un autre plus profond?...
Spoletta, désignant la porte qui est restée entr'ouverte.—Non, monsieur, c'est quelqu'un qui voudrait...
Mario.—Oh! si celui-là est encore un de ces moines blancs qui veulent à tout prix me faire implorer la miséricorde de Dieu, pour avoir tenté de sauver Angelotti, je m'y refuse énergiquement. Je vous en prie, capitaine, épargnez-moi leurs instances inutiles et leurs chants lugubres. La mort est assez fâcheuse par elle-même sans qu'on l'attriste encore par de telles cérémonies.
Il s'étend de nouveau pour se rendormir.
Spoletta.—Les moines blancs sont partis, monsieur, sur l'ordre de Son Excellence, et pour une raison que vous saurez tout à l'heure. Ce n'est pas d'eux qu'il s'agit, mais d'une personne que vous verrez sans doute avec plus de plaisir.
Mario, vivement, sur son séant.—Floria?
Spoletta.—Oui, monsieur!
Mario, se tournant vers la porte.—Oui! qu'elle vienne! Où est-elle? Floria! Ma chérie... Mon amour!... Mais viens donc... Viens donc!
Sur un signe de Spoletta, le guichetier ouvre la porte toute grand à Floria.
Scène II
Les Mêmes, FLORIA
Floria, courant à lui, et, agenouillée, le prenant dans ses bras.—Tu m'as donc pardonné?
Mario.—Oh! ma chère âme! C'est à toi de me pardonner un mouvement de colère bien injuste, bien ingrat, que je me suis assez reproché. Et au moment de nous dire adieu...
Floria, bas à son oreille, avec un coup d'œil aux personnages qui, sur l'ordre muet de Spoletta, gagnent la porte.—Non!... Non!... Pas adieu!...
Mario.—Comment?
Floria, de même.—Tais-toi! Attends... Attends qu'ils Sortent. (En rapprochant son visage de celui de Mario, elle frôle le front de celui-ci qui n'est pas maître d'un petit mouvement de douleur. Vivement.) Tu Souffres?...
Mario, prenant sa main qu'il porte à ses lèvres.—Un peu, oui.
Floria.—Ah! mon amour, je vais pouvoir te soigner, te guérir!... Dans quelques instants, nous serons loin de cette horrible ville, et de tout péril! (Les voyant tous sortis, sauf Spoletta.) J'ai ta grâce!
Mario.—Ma grâce?
Floria.—Entière!...
Mario.—De Scarpia?
Floria.—De Scarpia! N'est-ce pas, capitaine, n'est-ce pas qu'il est sauvé?
Spoletta.—Son Excellence, monsieur, m'a effectivement donné des ordres qui confirment tout ce que dit madame.
Floria.—Tu vois!...
Mario, à Spoletta.—Et quels ordres?
Floria.—On doit faire semblant de te fusiller, pour l'apparence, tu comprends. Mais les fusils ne seront chargés qu'à poudre, à poudre seulement, et, pour plus de sûreté, c'est le capitaine qui doit les charger lui-même. N'est-ce pas, capitaine? Dites-le-lui bien; dites-le, il a l'air de ne pas me croire.
Spoletta.—Chargés de ma propre main, monsieur. C'est l'ordre formel de Son Excellence...
Floria.—Tu vois bien! Le capitaine te le dit. Alors, on te conduit sur la plate-forme, sans témoins... Les soldats tirent... tu tombes comme s'ils t'avaient tué. Le capitaine congédie ses hommes; les portes du château nous sont ouvertes; nous montons dans ma voiture et nous partons ensemble pour aller où nous voudrons! et libres, libres!... Quel bonheur!
Mario.—Est-ce possible?
Floria.—Tiens, le sauf-conduit (Elle le lui donne.) qui nous ouvre les portes du château, de la ville, et qui nous assure le passage jusqu'à l'a frontière.
Mario.—A toi?
Floria.—Et à toi? Lis donc: *La, signora Tosca, et le cavalier qui l'accompagne.*
Mario.—En effet. Et signé Scarpia?
Floria.—Tu vois bien!
Spoletta.—Et si vous m'en croyez, monsieur, vous avez tout intérêt à ne pas attendre le grand jour. Plus tôt nous agirons, mieux cela vaudra.
Floria, vivement.—Ah! je crois bien! Vite, vite, capitaine, tout de suite!
Spoletta, à Mario.—Mes hommes sont déjà sur la plate-forme. J'ai mis les fusils en lieu sûr. Je vais m'assurer que la place est déserte et je reviens vous prendre.
Floria.—Oui, oui, c'est cela, capitaine, allez vite! Ah! que je vous suis reconnaissante!
Spoletta sort.
Scène III
Mario, dès que Spoletta est sorti, il saisit violemment la main de Tosca.—Malheureuse! De quel prix as-tu payé mon salut?
Floria.—D'un coup de couteau!
Mario.—Tu l'as tué?
Floria.—Ah! si je l'ai tué! (Avec une joie sauvage.) Oh! ça, oui, je l'ai bien tué!
Mario.—Et tu es la? Mais on va découvrir ce mort, tu es perdue.
Floria.—Non, mon Mario, non, je ne suis pas perdue. Devant moi il a donné l'ordre qu'on le laissât reposer! Il repose! Personne ne s'étonnera qu'ayant veillé toute la nuit il dorme jusqu'à l'heure du repas, midi, une heure. Nous avons donc six ou sept heures devant nous, quatre au pis aller. Et, dans quatre heures, nous serons à Civita-Vecchia où nous trouverons un navire en partance, un bateau, une barque?... Avant qu'on ait découvert ce mort nous serons loin, bien loin, hors d'atteinte, en pleine mer!...
Mario.—Ah! vaillante femme. Tu es bien une Romaine. Une vraie Romaine d'autrefois!
La porte s'ouvre.
Floria.—Spoletta!
Scène IV
Les mêmes, SPOLETTA, Soldats, au fond, dans le vestibule.
Spoletta.—Vous êtes prêt, monsieur?
Floria, joyeusement.—Oui, capitaine. Oui!... (Elle aperçoit les soldats et change de ton.) Oui, nous sommes prêts! (Bas à Spoletta, en tenant Mario serré dans ses bras, pour les soldats, témoins, comme si elle lui faisait ses derniers adieux.) Ne puis-je pas vous accompagner?
Spoletta, bas.—Oh! non, madame. Il vaut mieux ne pas vous montrer, et ne venir là qu'après les, coups de feu.
Floria, de même.—De ce côté, n'est-ce pas, la plate-forme?
Spoletta, de même.—De ce côté! Vingt marches à monter.
Floria, de même.—Bien! Ne me faites pas trop attendre.
Spoletta, de même.—C'est l'affaire de cinq minutes au plus!... (Haut à Mario.) Allons, monsieur.
Floria, dans les bras de Mario.—Joue bien ton, rôle! Tombe sur le coup... Et fais bien le mort.
Mario.—Sois tranquille!
Floria.—Va, va vite! Nous aurons le temps de nous embrasser en route!
Spoletta, aux soldats.—Portez armes!
Ils sortent avec Mario. Tous disparaissent.
Scène V
FLORIA, seule.
Silence d'un moment.
Floria.—Sûrement, avec les chevaux de poste que nous trouverons sur la route, nous pouvons être à Civita-Vecchia dans quatre heures!... Ah! Dieu! quand je verrai les côtes d'Italie s'effacer au loin! Quelle délivrance... (Silence.) Ah! je les entends marcher là-haut, sur la plate-forme... Ils s'arrêtent!... C'est le moment... Pourvu, maintenant, que l'on ne s'avise pas de réveiller l'autre, pour quelque affaire!... (Silence.) Eh bien, qu'est-ce qu'ils attendent?... Cela devrait être fait déjà!... Un retard peut tout perdre... Et puis, c'est odieux cette attente!... Cela serre le cœur... J'ai beau savoir que ce n'est qu'un jeu... la pensée qu'on va tirer sur lui!... Ah! mon Dieu! Mais allez donc, allez donc! Finissez donc!... (Détentions. Elle pousse un cri d'effroi involontaire.) Ah!... Je suis folle... C'est fait!... Allons, maintenant! Ah! son manteau que j'oubliais!
Elle prend le manteau et sort vivement par la gauche.
*Plate-forme du château Saint-Ange, côté sud. Au fond, le parapet et les canons. Et, en perspective la ville, entre le colysée et le dôme de Saint-Pierre, éclairée par le soleil levant. Au premier plan, à gauche, un grand mur montant jusqu'aux frises. A droite, mur et grande échauguette qui sert de couronnement à un escalier praticable par où l'on vient de l'étage inférieur. Au deuxième plan, passage praticable entre l'échauguette et le parapet. Il fait à peine jour au lever du rideau, et la scène va s'éclairant de plus en plus.*
Scène première
SPOLETTA, MARIO, Soldats, FLORIA
Mario est étendu, immobile, à gauche de la scène, en avant du grand mur. Les soldats sont à droite, au fond, entre le parapet et l'échauguette Spoletta, penché sur Mario, dont la tête est tournée du côté du mur. Un sergent, une lanterne à la main, attend.
Spoletta, après un temps, se relevant, aux soldats.—C'est inutile... Vous pouvez vous retirer.
Le sergent remonte et sort avec les hommes par la droite.
Floria, paraît sur le seuil de l'échauguette, le manteau sur le bras.—C'est bien cela... C'est la plate-forme!... (l'apercevant.) Ah! c'est vous?... Capitaine... vos hommes sont partis?
Spoletta.—A l'instant!
Floria.—Où est-il?
Spoletta.—Là!
Floria.—Ah!... bien! Voyez si le chemin est libre!... (Spoletta sort par la droite, deuxième plan. Elle va à Mario.) C'est moi... Ne bouge pas!... Un soldat qui passe... Attends!... (Elle suit des yeux le soldat.) Bien!... Il s'éloigne... (Elle redescend. Quatre hommes paraissent à droite, premier plan, conduits par un sergent, deux avec des lanternes. Vivement.) Reste encore... Voici des lumières!... (Les yeux toujours tournés vers le côté où les hommes ont disparu.) Reste encore... Ils pourraient te voir. Attends qu'ils aient tourné le mur... Là... bien, les voici qui disparaissent... le dernier... maintenant... bien! Tiens, voilà le manteau. (Elle le lui jette les yeux tournes vers le fond.) Jette-le sur tes épaules et lève-toi!... Vite! à présent!... Vite! vite donc! (Elle se retourne et le voit immobile.) Mais lève-toi donc!... Tu ne m'entends donc pas?... Mario!... Mario!... (Effrayée, elle court à lui.) Evanoui?... Mario!... (Elle retourne vivement le corps, la tête de Mario apparaît livide et son bras fouettant l'air vient retomber sur le sol avec un bruit mat.) Du Sang!... Mort!... Mon Mario!... Tué!... Tué!... Ils me l'ont tué! (Spoletta reparaît avec Schiarrone et les quatre porteurs, le sergent et des soldats. Elle bondit vers lui.) Assassin! Assassin... qui devais le sauver!
Spoletta.—Vous le faire croire et le fusiller, comme Palmieri! c'était l'ordre du maître!...
Floria.—Ah! le tigre! Et je ne peux plus le tuer!
Mouvement de tous.
Spoletta, Schiarrone et Un Officier.—Le tuer?
Floria,—Oui, je l'ai tué, votre Scarpia... Tué, tué, entendez-vous? D'un coup de couteau dans le cœur, et je voudrais encore l'y plonger et l'y tordre... Ah! vous fusillez... Moi, j'égorge! (Deux hommes, sur un geste de Spoletta s'élancent, par la gauche.) Oui, allez! Allez voir ce que j'ai fait de ce monstre... dont le cadavre assassine encore...
Schiarrone.—Misérable femme!
Spoletta, l'arrêtant.—Eh! Ne vois-tu pas que la douleur trouble sa cervelle et qu'elle nous conte ses rêveries!
Schiarrone.—Et si elle l'a tué, pourtant?
Spoletta.—Elle le payera trop peu de sa vie.
Floria.—Prends-la donc! Que je n'aie plus l'horreur de vous voir, bandits qui faites de telles choses, peuple pourri qui les accepte... soleil infâme qui les éclaire!
Voix confuses. Cris dehors. Roulement de tambours.
Spoletta, vivement.—Eh bien?
Un Officier.—C'est vrai!
Tous.—Oh!
Spoletta.—Frappé?
L'Officier,—Mort!
Cris de colère.
Spoletta, à Floria qui, pendant ce temps, a gagne le fond.—Ah! Démon!... je t'enserrai rejoindre ton amant!
Floria, debout sur le parapet.—J'y vais, canailles!
Elle se lance dans le Vide.
The play *la Tosca* is entered according to act of Congress in the year 1909, by the late V. Sardou's heirs, in the office of the Librarian of Congress at Washington. All rights reserved. |
"1. Castle Tomen, Radnor Forest.\n\n2. A Glade on a Ley.\n\n3. Four Stones, New Radnor.\n\nEarly Bri(...TRUNCATED) |
"*A Treatise on the Food Question*\n\n\nExplaining, in Plain Language, the \n\nChemistry of Food and(...TRUNCATED) |
"[*All rights reserved*] \n\n\nOxford, they tell us, is the home of movements; Cambridge the home of(...TRUNCATED) |
"&c., &c. \n\n\n\n\n\n\n\n\nI WAS going home from the village, and it was an autumn evening, just af(...TRUNCATED) |
"*All rights reserved. No part of this publication may be reproduced or transmitted in any form or b(...TRUNCATED) |
"*Prison Poetry, BY H. P. McKNIGHT*. ===================================\n\n*In leisure moments cast(...TRUNCATED) |
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