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leur bien, leur poésie, leur espoir, Lélia! Si tu veux déjà la placer
dans ta gloire et l’envelopper de tes éternelles félicités, reprends-la,
mon Dieu, elle t’appartient; ce que tu lui destines vaut mieux que ce
que tu lui ôtes. Mais, en sauvant Lélia, ne nous brise pas, ne nous
perds pas, ô mon Dieu! Permets-nous de la suivre et de nous agenouiller
sur les marches du trône où elle doit s’asseoir...
--C’est fort beau, dit Lélia en l’interrompant, mais ce sont des vers et
rien de plus. Laissez cette harpe dormir en paix, ou mettez-la sur la
fenêtre; le vent en jouera mieux que vous. Maintenant, approchez.
Va-t’en, Trenmor, ton calme m’attriste et me décourage. Viens, Sténio,
parle-moi de toi et de moi. Dieu est trop loin, je crains qu’il ne nous
entende pas; mais Dieu a mis un peu de lui en toi. Montre-moi ce que ton
âme en possède. Il me semble qu’une aspiration bien ardente de cette âme
vers la mienne, il me semble qu’une prière bien fervente que tu
m’adresserais me donnerait la force de vivre. La force de vivre! Oui! il
ne s’agit que de le vouloir. Mon mal consiste, Sténio, à ne pouvoir pas
trouver en moi cette volonté. Tu souris, Trenmor! Va-t’en. Hélas!
Sténio, ceci est vrai, j’essaie de résister à la mort, mais j’essaie
faiblement. Je la crains moins que je ne la désire, je voudrais mourir
par curiosité. Hélas! j’ai besoin du ciel, mais je doute... et, s’il n’y
a point de ciel au-dessus de ces étoiles, je voudrais le contempler
encore de la terre. Peut-être, mon Dieu! est-ce ici-bas seulement qu’il
faut l’espérer? Peut-être est-il dans le cœur de l’homme?... Dis, toi
qui es jeune et plein de vie, l’amour est-ce le ciel? Vois comme ma tête
s’affaiblit, et pardonne cet instant de délire. Je voudrais bien croire
à quelque chose, ne fût-ce qu’à toi, ne fût-ce qu’une heure avant d’en
finir, sans retour peut-être, avec les hommes et avec Dieu!
--Doute de Dieu, doute des hommes, doute de moi-même, si tu veux, dit
Sténio en s’agenouillant devant elle, mais ne doute pas de l’amour, ne
doute pas de ton cœur, Lélia! Si tu dois mourir à présent, s’il faut
que je te perde, ô mon tourment, ô mon bien, ô mon espoir! fais au moins
que je croie en toi, une heure, un instant. Hélas! mourras-tu sans que
je t’aie vue vivre? Mourrai-je avec toi sans avoir embrassé en toi autre
chose qu’un rêve? Mon Dieu! n’y a-t-il d’amour que dans le cœur qui
désire, que dans l’imagination qui souffre, que dans les songes qui nous
bercent durant les nuits solitaires? Est-ce un souffle insaisissable?
Est-ce un météore qui brille et qui meurt? Est-ce un mot? Qu’est-ce que
c’est, mon Dieu! O ciel! ô femme! ne me l’apprendrez-vous pas?
--Cet enfant demande à la mort le secret de la vie, dit Lélia; il
s’agenouille sur un cercueil pour obtenir l’amour! Pauvre enfant! Mon
Dieu, ayez pitié de lui, et rendez-moi la vie afin de conserver la
sienne! Si vous me la rendez, je fais vœu de vivre pour lui. Il dit
que je vous ai blasphémé en blasphémant l’amour: eh bien! je courberai
mon front superbe, je croirai, j’aimerai!... Faites seulement que je
vive de la vie du corps, et j’essaierai de vivre de celle de l’âme.
--Entendez-vous, mon Dieu? s’écria Sténio avec délire; entendez-vous ce
qu’elle dit, ce qu’elle promet? Sauvez-la, sauvez-moi! donnez-moi Lélia,
rendez-lui la vie!....»
Lélia tomba raide et froide sur le parquet. C’était une dernière, une
horrible crise. Sténio la pressa contre son cœur en criant de
désespoir. Son cœur était brûlant, ses larmes chaudes tombèrent sur
le front de Lélia. Ses baisers vivifiants ramenèrent le sang à ses mains
livides, sa prière peut-être attendrit le ciel: Lélia ouvrit faiblement
les yeux, et dit à Trenmor qui l’aidait à se relever:
«Sténio a relevé mon âme; si vous voulez la briser encore avec votre
raison, tuez-moi tout de suite.
--Et pourquoi vous ôterais-je le seul jour qui vous reste? dit Trenmor;
la dernière plume de votre aile n’est pas encore tombée.»
DEUXIÈME PARTIE.
XXIII.
MAGNUS.
Sténio descendait un matin les versants boisés du Monte Rosa. Après
avoir erré au hasard dans un sentier couvert d’épaisses végétations, il
arriva devant une clairière ouverte par la chute des avalanches. C’était
un lieu sauvage et grandiose. La verdure sombre et vigoureuse couronnait
les ruines de la montagne crevassée. De longues clématites enlaçaient de
leurs bras parfumés les vieilles roches noires et poudreuses qui
gisaient éparses dans le ravin. De chaque côté s’élevaient en murailles
gigantesques les flancs entr’ouverts de la montagne, bordés de sombres
sapins et tapissés de vignes vierges. Au plus profond de la gorge, le
torrent roulait ses eaux claires et bruyantes sur un lit de cailloux
richement colorés. Si vous n’avez pas vu courir un torrent épuré par ses
mille cataractes, sur les entrailles nues de la montagne, vous ne savez
pas ce que c’est que la beauté de l’eau et ses pures harmonies.
Sténio aimait à passer les nuits, enveloppé de son manteau, au bord des
cascades, sous l’abri religieux des grands cyprès sauvages, dont les
muets et immobiles rameaux étouffent l’haleine des brises. Sur leur cime
épaisse s’arrêtent les voix errantes de l’air, tandis que les notes
profondes et mystérieuses de l’eau qui s’écoule sortent du sein de la
terre, et s’exhalent comme des chœurs religieux du fond des caves
funèbres. Couché sur l’herbe fraîche et luisante qui croit aux marges