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qui croit y apercevoir des griffes, et voilà un prêtre qui refuse de
m’absoudre et de m’ensevelir! Suis-je déjà morte? Est-ce un songe que
je fais?
--Non, Lélia, dit enfin le prêtre d’une voix triste et solennelle, je ne
vous prends pas pour un démon; je ne crois pas au démon, vous le savez
bien.
--Ah! ah! dit-elle en se tournant vers Sténio, entendez le prêtre: il
n’y a rien de moins poétique que la perfection humaine. Soit, mon père,
renions Satan, condamnons-le au néant. Je ne tiens pas à son alliance,
quoique l’air satanique soit assez de mode, et qu’il ait inspiré à
Sténio de fort beaux vers en mon honneur. Si le diable n’existe pas, me
voici fort en paix sur mon avenir: je puis quitter la vie à cette heure,
je ne tomberai pas dans l’enfer. Mais où irai-je, dites-moi? Où vous
plaît-il de m’envoyer, mon père? au ciel, dites?
--Au ciel! s’écria Magnus. Vous au ciel! Est-ce votre bouche qui a
prononcé ce mot?
--N’est-il point de ciel non plus? dit Lélia.
--Femme, dit le prêtre, il n’en est point pour toi.
--Voilà un prêtre consolant! dit-elle. Puisqu’il ne peut sauver mon âme,
qu’on amène le médecin, et que, pour or ou pour argent, il se décide à
sauver ma vie.
--Je ne vois rien à faire, dit le docteur Kreyssneifetter; la maladie
suit une marche régulière et bien connue. Avez-vous soif? que l’on vous
apporte de l’eau, et puis calmez-vous, attendons. Les remèdes vous
tueraient à l’heure qu’il est; laissons agir la nature.
--Bonne nature! dit Lélia, je voudrais bien t’invoquer! Mais qui es-tu?
où est la miséricorde? où est ton amour? où est ta pitié? Je sais bien
que je viens de toi et que j’y dois retourner; mais à quel titre
t’adjurerai-je de me laisser ici encore un jour? Il y a peut-être un
coin de terre aride auquel il manque ma poussière pour y faire croître
l’herbe: il faut donc que j’aille accomplir ma destinée. Mais vous,
prêtre, appelez sur moi le regard de celui qui est au-dessus de la
nature, et qui peut lui commander. Celui-là peut dire à l’air pur de
raviver mon souffle, au suc des plantes de me ranimer, au soleil qui va
paraître de réchauffer mon sang. Voyons, enseignez-moi à prier Dieu!
--Dieu! dit le prêtre en laissant tomber avec accablement sa tête sur
son sein; Dieu!»
Des larmes brûlantes coulèrent sur ses joues flétries.
«O Dieu! dit-il, ô doux rêve qui m’as fui! où es-tu? où te
retrouverai-je? Espoir, pourquoi m’abandonnes-tu sans retour?...
Laissez-moi, Madame, laissez-moi sortir d’ici! Ici tous mes doutes
reprennent leur funeste empire; ici, en présence de la mort, s’évanouit
ma dernière espérance, ma dernière illusion! Vous voulez que je vous
donne le ciel, que je vous fasse trouver Dieu. Eh! vous allez savoir
s’il existe, vous êtes plus heureuse que moi qui l’ignore.
--Allez-vous-en, dit Lélia: hommes superbes, quittez mon chevet. Et
vous, Trenmor, voyez ceci, voyez ce médecin qui ne croit pas à sa
science, voyez ce prêtre qui ne croit pas à Dieu: et pourtant ce médecin
est un savant, ce prêtre est un théologien. Celui-ci, dit-on, soulage
les moribonds, celui-là console les vivants; et tous deux ont manqué de
foi auprès d’une femme qui se meurt!
--Madame, dit Kreyssneifetter, si j’avais essayé de faire le médecin
avec vous, vous m’auriez raillé. Je vous connais, vous n’êtes pas une
personne ordinaire, vous êtes philosophe.
--Madame, dit Magnus, ne vous souvient-il plus de notre promenade dans
la forêt du Grimsel? Si j’avais osé faire le prêtre avec vous,
n’auriez-vous pas achevé de me rendre incrédule?
--Voilà donc, leur dit Lélia d’un ton amer, à quoi tient votre force! la
faiblesse d’autrui fait votre puissance; mais, dès qu’on vous résiste,
vous reculez et vous avouez en riant que vous jouez un faux rôle parmi
les hommes, charlatans et imposteurs que vous êtes! Hélas! Trenmor, où
en sommes-nous? Où en est le siècle? Le savant nie, le prêtre doute.
Voyons si le poëte existe encore. Sténio, prends ta harpe et chante-moi
les vers de Faust; ou bien ouvre tes livres et redis-moi les souffrances
d’Obermann, les transports de Saint-Preux. Voyons, poëte, si tu
comprends encore la douleurs; voyons, jeune homme, si tu crois encore à
l’amour.
--Hélas! Lélia, s’écria Sténio en tordant ses blanches mains, vous êtes
femme et vous n’y croyez pas! Où en sommes-nous, où en est le siècle?»
XXII.
«Dieu du ciel et de la terre, Dieu de force et d’amour, entends une voix
pure qui s’exhale d’une âme pure et d’un sein vierge! Entends la prière
d’un enfant; rends-nous Lélia!
Pourquoi, mon Dieu, veux-tu nous arracher si tôt la bien-aimée de nos
cœurs? Écoute la grande et puissante voix de Trenmor, de l’homme qui
a souffert, de l’homme qui a vécu. Entends le vœu d’une âme encore
ignorante des maux de la vie. Tous deux te demandent de leur conserver