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L’étude m’a révélé toute l’importance des maladies dont l’homme est |
assiégé. Je la constate, je l’observe, j’assiste au dénouement, et je |
profite de mes observations. |
--Pour ordonnancer les précautions du système hygiénique applicable à |
votre aimable personne? dit Lélia. |
--Je crois peu à l’influence d’un système quelconque, dit le docteur; |
nous naissons tous avec le principe d’une mort plus ou moins prochaine. |
Nos efforts pour retarder le terme ne font souvent que le hâter. Le |
mieux est de n’y pas penser, et de l’attendre en oubliant qu’il doit |
venir. |
--Vous êtes très-philosophe,» dit Lélia en prenant du tabac dans la |
boîte d’or du docteur. |
Mais elle eut une convulsion et tomba mourante dans les bras de Sténio. |
«Allons, ma belle enfant, dit le docteur imberbe, un peu de courage! Si |
vous vous affectez de votre état le moins du monde, vous êtes perdue. |
Mais vous ne courez pas plus de risque que moi si vous gardez le même |
sang froid.» |
Lélia se releva sur un coude, et, le regardant avec ses yeux éteints par |
la souffrance, elle trouva encore la force de sourire avec ironie. |
«Pauvre docteur, lui dit-elle, je voudrais te voir à ma place! |
--Merci, pensa le docteur. |
--Vous disiez donc que vous ne croyez pas à l’influence des remèdes: |
vous ne croyez donc pas à la médecine? dit-elle. |
--Pardon; l’étude de l’anatomie et la connaissance du corps humain avec |
ses altérations et ses infirmités, c’est là une science positive. |
--Oui, dit Lélia, que vous cultivez comme un art d’agrément.--Mes amis, |
dit-elle en tournant le dos au docteur, allez me chercher un prêtre, je |
vois que le médecin m’abandonne.» |
Trenmor courut chercher le prêtre. Sténio voulut jeter le médecin |
par-dessus le balcon. |
«Laisse-le tranquille, lui dit Lélia; il m’amuse. Donne-lui un livre et |
mène-le dans mon cabinet devant une glace, afin qu’il s’occupe. Quand je |
sentirai le courage m’abandonner, je le ferai appeler afin qu’il me |
donne des conseils de stoïcisme et que je meure en riant de l’homme et |
de sa science.» |
Le prêtre arriva. C’était le grand et beau prêtre irlandais de la |
chapelle de Sainte-Laure. Il s’approcha, austère et lent. Son visage |
inspirait un respect religieux; son regard calme et profond, qui |
semblait réfléchir le ciel, eût suffi pour donner la foi. Lélia, brisée |
par la souffrance, avait caché son visage sous son bras contracté, |
enlacé de ses cheveux noirs. |
«Ma sœur!» dit le prêtre d’une voix pleine et fervente. |
Lélia laissa retomber son bras, et retourna lentement son visage vers |
l’homme de Dieu. |
«Encore cette femme!» s’écria-t-il en reculant avec terreur. |
Alors sa physionomie fut bouleversée, ses yeux restèrent fixes et pleins |
d’épouvante, son teint devint livide, et Sténio se souvint du jour où il |
l’avait vu pâlir et trembler en rencontrant le regard sceptique de Lélia |
au dessus de la foule prosternée. |
«C’est toi, Magnus! lui dit-elle. Me reconnais-tu? |
--Si je te connais, femme! s’écria le prêtre avec égarement; si je te |
connais! Mensonge, désespoir, perdition!» |
Lélia ne lui répondit que par un éclat de rire. |
«Voyons, dit-elle en l’attirant vers elle de sa main froide et bleuâtre, |
approche, prêtre, et parle-moi de Dieu. Tu sais pourquoi l’on t’a fait |
venir ici: c’est une âme qui va quitter la terre, et qu’il faut envoyer |
au ciel. N’en as-tu pas la puissance?» |
Le prêtre garda le silence et resta terrifié. |
«Allons, Magnus, dit-elle avec une triste ironie et tournant vers lui |
son visage pâle déjà couvert des ombres de la mort, remplis la mission |
que l’Église t’a confiée, sauve-moi, ne perds pas de temps; je vais |
mourir! |
--Lélia, répondit le prêtre, je ne peux pas vous sauver, vous le savez |
bien; votre puissance est supérieure à la mienne. |
--Qu’est-ce que cela signifie? dit Lélia se dressant sur sa couche. |
Suis-je déjà dans le pays des rêves? Ne suis-je plus de l’espèce humaine |
qui rampe, qui prie et qui meurt? Le spectre effaré que voilà n’est-il |
pas un homme, un prêtre? Votre raison est-elle troublée, Magnus? Vous |
êtes là vivant et debout, et moi j’expire. Pourtant vos idées se |
troublent et votre âme faiblit, tandis que la mienne appelle avec calme |
la force de s’exhaler. Allons, homme de peu de foi, invoquez Dieu pour |
votre sœur mourante, et laissez aux enfants ces peurs superstitieuses |
qui devraient vous faire pitié. En vérité, qui êtes-vous tous? Voici |
Trenmor étonné; voici Sténio, le jeune poëte, qui regarde mes pieds et |