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lui dit le juge.--J’ai voulu la tuer, répondit-il.--Où est votre
défenseur?--Je n’en ai pas, et je n’en veux pas.» On lui lut son arrêt,
il resta impassible. On riva sur son cou le fer de l’ignominie; il s’en
aperçut à peine. Puis, tout d’un coup, relevant la tête et faisant
quelques pas, attaché à ses hideux compagnons, il promena un regard
curieux sur les spectateurs de sa misère. Il vit une femme qui ne recula
pas lorsque son vêtement d’opprobre l’effleura. «Vous êtes ici, Lélia,
s’écria-t-il, et la Mantovana n’y est point? Cet animal immonde, que
j’ai nourri et caressé si longtemps, m’a condamné à l’infamie pour un
instant de colère; et à cette heure, où je dis adieu pour jamais à la
vie de l’homme, elle n’a pas même un regard de regret ou de pitié pour
moi! Elle cache ses remords sans doute...--La Mantovana vient d’expirer,
lui répondis-je, vous êtes son meurtrier. Repentez-vous et subissez le
châtiment.--Ah! c’est donc son sang qui m’a fait tomber! s’écria-t-il.»
Et, regardant à ses pieds avec égarement, il y vit ses fers, et sourit.
«Je comprends, dit-il, voilà encore le sang de la Mantovana!» Il tomba
comme foudroyé. Jeté dans une charrette, il disparut à mes yeux.
Cinq ans après, le hasard me fit rencontrer, dans un sentier des
montagnes, au bord de la mer, un homme pâle et grave qui marchait
lentement, la tête nue, le regard levé vers le ciel. Je ne le reconnus
pas, tant l’expression de sa figure avait changé. Il vint à moi et me
parla. Sa voix était changée aussi. Il se nomma, je lui tendis la main,
et nous nous assîmes sur un des rochers du rivage. Il me parla
longtemps, et, en le quittant, j’avais juré une éternelle pitié, comme
j’ai juré depuis un éternel respect à l’infortuné qu’on appelle
aujourd’hui Trenmor, et qui, durant cinq années...
XI.
En effet, c’est un secret terrible, et je dois sentir en mon cœur une
grande reconnaissance pour l’homme qui n’a pas craint de me le confier!
Vous m’estimez donc bien, Lélia, et il vous estime donc bien aussi, pour
que ce secret soit venu de lui à moi en si peu de temps? Eh bien! voilà
qu’un lien sacré est établi entre nous trois, un lien dont j’ai frayeur
pourtant, je ne vous le dissimule pas, mais que je n’ai plus le droit de
dénouer.
Malgré toutes vos précautions oratoires, Lélia, je n’ai pu m’empêcher
d’être écrasé. Quand je me suis souvenu qu’une heure avant le moment où
je lisais cela, j’avais vu cet homme presser votre main, votre main que
je n’ai jamais osé toucher et que je ne vous ai encore vue offrir à nul
autre que lui, j’ai senti comme un froid de glace qui me tombait sur le
cœur. Vous, faire alliance avec cet homme flétri! Vous angélique,
vous adorée à genoux, vous la sœur des blanches étoiles, je vous ai
supposée un instant la sœur d’un...! Je n’écrirai pas ce mot.--Et
voilà que maintenant vous êtes plus que sa sœur! Une sœur n’eût
fait que son devoir en lui pardonnant. Vous vous êtes faite
volontairement son amie, sa consolation, son ange; vous avez été vers
lui, vous avez dit: «Viens à moi, toi qui es maudit, je te rendrai le
ciel que tu as perdu! Viens à moi qui suis sans tache, et qui cacherai
tes souillures, avec ma main que voici!» Eh bien! vous êtes grande,
Lélia, plus grande encore que je ne pensais. Votre bonté me fait mal, je
ne sais pourquoi; mais je l’admire, mais je vous adore.--Ce que je ne
puis supporter, c’est que cet homme, que je hais et que je plains, ait
osé toucher la main que vous lui avez offerte; c’est qu’il ait eu
l’orgueil d’accepter votre amitié, votre amitié sainte que les plus
grands hommes de la terre imploreraient humblement s’ils connaissaient
ce qu’elle vaut. Trenmor l’a reçue, Trenmor la possède, et Trenmor ne
vous parlé pas le front dans la poussière; Trenmor se tient debout à vos
côtés, et traverse avec vous la foule étonnée, lui qui cinq ans a traîné
le boulet côte à côte avec un voleur ou un parricide!... Ah! je le hais!
mais je ne le méprise plus, ne me grondez pas!
Quant à vous! Lélia, je vous plains, et je me plains aussi d’être votre
disciple et votre esclave. Vous connaissez beaucoup trop la vie pour
être heureuse; j’espère encore que le malheur vous a aigrie, que vous
exagérez le mal; je repousse encore cette accablante insinuation de
votre lettre:--que les meilleurs parmi les hommes sont les plus vains,
et que l’héroïsme est une chimère!
Tu le crois, pauvre Lélia! pauvre femme! tu es malheureuse, je t’aime!
XII.
Trenmor n’avait qu’un moyen de mériter mon amitié: c’était de
l’accepter, et il l’a fait. Il n’a pas craint de se fier à mes
promesses, il n’a pas cru que cette générosité serait au-dessus de mes
forces. Au lieu d’être humble et craintif devant moi, il est calme, il
se repose sur ma délicatesse, il n’est pas sur la défensive, et ne
suppose pas que je puisse l’humilier et lui faire sentir le poids de ma
protection. Vraiment, cet homme a l’âme noble et grande, et nulle amitié
ne m’a plus flattée que la sienne.
Jeune orgueilleux, car c’est vous qui l’êtes! osez-vous bien vous élever
au-dessus de cet homme que la foudre a renversé? Parce qu’il a été
entraîné par la fatalité, parce que, né sous une étoile funeste, il
s’est égaré à travers les écueils, vous lui reprochez sa chute, vous
vous détournez de lui alors que, sanglant et brisé, vous le voyez sortir
de l’abîme! Ah! vous êtes du monde, vous! Vous partagez bien ses
inexorables préjugés, ses égoïstes vengeances! Quand le pécheur est
encore debout, vous le tolérez encore; mais sitôt qu’il est à terre,